La Peste comme métaphore

Le titre de ce roman est manifestement une métaphore. En parlant de la peste, Camus nous renvoie à la «peste brune», c'est-à-dire au nazisme qui a fait ravage en Europe dans les années 40. Outre la signification historique, Camus donne aussi une signification métaphysique à la peste: la peste permet d'exposer une réflexion sur la condition humaine. Les trois niveaux de lecture sont donc les suivants:

  1. Sens premier: peste comme fléau / épidémie
  2. Sens historique: le nazisme, la «peste brune», témoignage contre l'occupation nazie
  3. Sens métaphysique: l'existence (souffrance, mort, absurdité,...)

Sens premier: le fléau

Tout d'abord il s'agit d'une chronique médicale. Camus nous présente l'analyse de la maladie et de ses ravages.

Sens historique: témoignage contre l'occupation nazie

La Peste porte les marques des événements des années 40. Dans une lettre à Ronald Barthes, Camus écrit: « Le contenu évident de La Peste est la lutte de la résistance européenne contre le nazisme. » La peste représente alors l'emprisonnement historique, celui des Français et tout l'Europe sous l'Occupation. Oran assiégé par la peste correspond à la guerre qui frappe la France et toute l'Europe de 1939-1945.
Ainsi, le lecteur retrouve des événements dans le roman qui évoquent l'Occupation, le nazisme ainsi que la Résistance et la collaboration comme par exemple la séquestration, les hésitations de l'administration ou encore l'organisation des équipes sanitaires.

L'occupation

(Le texte suivant a été copié du Profil d'une œuvre ; La Peste, p. 63)

La Peste a une signification historique : le fléau qui atteint la ville d'Oran symbolise la guerre qui, de 1939 à 1945, a frappé la France et l'Europe. Le narrateur suggère le rapprochement en écrivant : « Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. » Et la situation chronologique indiquée à la première ligne du roman précise la référence à la Seconde Guerre mondiale, même si le millésime n'est pas mentionné de façon rigoureuse.
De nombreuses séquences évoquent en effet - de façon très claire pour le lecteur de 1947 -, la période de l'Occupation. L'usage du téléphone et l'échange épistolaire deviennent presque impossibles comme ils l'étaient, pendant la guerre, en direction de la « zone libre » (p.68). Le couvre-feu est instauré (p.159). L'interdiction de sortir d'Oran (p.107) évoque l'interdiction faite aux Français occupés de franchir la ligne de démarcation sans laisser-passer (p.107) ; et il y aura, dans un cas comme dans l'autre, des tentatives d'évasion (p.158). Des mesures sont prises par les autorités oranaises comme par les autorités françaises dans les années 1940, visant à limiter le ravitaillement et à rationner l'essence (p.77). Et l'on assiste, dans le roman comme dans la France de l'époque, à la formation de longues queues devant les boutiques d'alimentation (p.170). Le rationnement invite quelques commerçants peu scrupuleux à offrir « à des prix fabuleux des denrées de première nécessité » (p.214), pratique que l'on appelait « faire du marché noir » pendant la guerre.

Le nazisme

(Le texte suivant a été copié du Profil d'une œuvre ; La Peste, p. 64)

Le roman évoque également les horreurs du nazisme. En imaginant un « camp d'isolement » mis en place dans le stade d'Oran (p.193), Camus fait référence à tous les « camps d'internement » transitoires ou définitifs organisés par les Allemands : ainsi, au vélodrome d'hiver en 1942, furent rassemblés des milliers de juifs. « On eut l'idée d'isoler certains quartiers » (p. 156), écrit le narrateur, évoquant ainsi indirectement les ghettos où, dans certaines cités d'Europe, était contenue la population juive. Et lorsque le narrateur indique que l'on achemine des cadavres vers un « four crématoire » (p.164), il fait une allusion patente aux fours crématoires dans lesquels les nazis avaient brûlé des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants.
A la fin du livre, Camus évoque de façon évidente la Libération et par moments ne « transpose » plus guère : il évoque les « mères, époux et amants qui avaient perdu toute joie avec l'être maintenant égaré dans une fosse anonyme ou fondu dans un tas de cendres » (p.267) ; un peu plus loin, il parle de ce « peuple abasourdi dont tous les jours une partie, entassée dans la gueule d'un four, s'évaporait en fumées grasses » (p.269) ; et cette fois, le propos concerne directement à la fois le sort des victimes des fours crématoires mis en place par les nazis et celui des victimes de la peste à Oran.

Résistance et collaboration

(Le texte suivant a été copié du Profil d'une œuvre ; La Peste, pp. 64-65)

« Le contenu évident de La Peste, écrit Camus, est la lutte de la résistance européenne contre le nazisme » (Lettre à Roland Barthes, dans Club, février 1995). Les Résistants avaient lutté dans la clandestinité contre l'occupant allemand : les « formations sanitaires volontaires », créées par Tarrou, combattent, en marge des autorités officielles, contre le fléau. On remarquera que les « Résistants » de La Peste, comme ceux de la guerre 1939-1945, voient leur nombre s'accroître au cours du temps et leur recrutement se fait aussi bien parmi les athées (comme Tarrou) qui parmi les croyants (comme Paneloux). La « collaboration » active n'est pas vraiment présente dans le roman ; toutefois, Cottard représente le profiteur, qui fait du trafic, et qui se réjouit de la présence du fléau. Il sera poursuivi dans le dernier chapitre du livre qui constitue un reflet de certaines épisodes de l'épuration.

(cf. voir La Peste a une signification historique: expliquez et illustrez.)

Sens métaphysique: une réflexion sur l'existence

Au-delà de son sens historique, La Peste revêt également une signification métaphysique : le roman met l'accent sur tout ce qui, dans le monde, est absurde (le mot est employé une fois, p.29).
A travers les personnages principaux, Camus pose les grandes questions philosophiques conçernant notamment la mort, le mal, la culpabilité, l'amour, l'action et ses limites et le bonheur. De plus, la peste représente l'emprisonnement de l'Homme soumis à sa condition absurde qui est dominée par la mort. La vie des Oranais est donc une image de notre propre vie qui est souvent caractérisée par la banalité, les habitudes et l'absence des sentiments forts.
La peste qui frappe Oran est donc non seulement une métaphore du nazisme, mais aussi une métaphore de l'existence en général. La peste symbolise tout ce qui, de près ou de loin, amène la mort de l'homme. Elle représente toute les formes que prend le Mal. Chacun la porte en soi, la peste, et il n'y a pas d'espoir que nous puissions un jour définitivement la vaincre, car « le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais ». La peste symbolise donc aussi la contingence de notre vie: elle frappe au hasard, de façon inattendue et n'ayant aucune raison particulière.
Selon Albert Camus, la seule façon d'affronter les fléaux qui frappent les hommes, c'est de choisir la révolte.

L'habitude et la répétition

(Le texte suivant a été copié du Profil d'une œuvre ; La Peste, pp.65-66)

C'est la vie elle-même qui, dans un certain nombre de ses manifestations, est dénuée de sens : c'est le cas chaque fois que l'homme se fige dans ses habitudes. Oran, nous dit le narrateur, est une ville où « on s'ennuie » et où on « s'applique à prendre des habitudes » (p.12) (cf. voir Oran et les Oranais). On y travaille pour gagner beaucoup d'argent et on perd ensuite « aux cartes, au café et en bavardages » le temps qui « reste pour vivre ». Le mot « habitude » revient à plusieurs reprises dans le livre, et il est souvent donné comme synonyme d'une médiocrité, parfois consentie, parfois imposée par l'existence. Signifiant une absence de projet et d'avenir, l'habitude constitue une forme de mort.
A cet égard, la peste, une fois déclarée, ne fait qu'accentuer jusqu'à la caricature ce mode de vie répétitif. Plusieurs séquences mettent en valeur le caractère absurde d'une série de recommenements. Rambert est contraint d'écouter toujours le même disque (p.150). Coupés de l'extérieur, les cinémas repassent sans cesse le même film (p.78). Une troupe qui présente Orphée aux enfers, bloquée dans la ville fermée, ne cesse de jouer la même pièce chaque semaine : « Depuis des mois, chaque vendredi, notre théâtre municipal retentissait des plaintes mélodieuses d'Orphée et des appels impuissants d'Eurydice » (p.182). Le mot « recommencer » apparaît à maints endroits du livre (p. 148, 149, 233, ...). Cette assimilation entre fléau et habitude figée est condensée dans cette formule du narrateur : « Au matin, ils revenaient au fléau, c'est-à-dire à la routine » (p.169).
Le recommencement peut certes avoir un caractère positif lorsqu'il s'agit d'une lutte toujours à reprendre pour donner un minimum de sens à la vie : Grand recommence sans cesse à faire sa première phrase, Rieux à soigner ses malades, Castel à chercher un sérum, Rambert à effectuer des démarches pour sortir ; la peste, dit ce dernier, « ça consiste à recommencer » (p. 149). Mais cette lutte sans cesse réitérée est en partie vaine : elle fait songer à l'action de Sysiphe faisant continuellement rouler un rocher sur une pente montante du haut de laquelle inéluctablement le rocher redescend. C'est là un aspect de l'absence de sens de la vie humaine : la lutte est sans cesse à recommencer.

Les figures du Mal

(Le texte suivant a été copié du Profil d'une œuvre ; La Peste, pp.66-67)

La peste symbolise surtout le Mal dans le monde contre lequel nul ne peut rien.

  • La séparation
    Ce Mal réside d'abord dans toutes les « séparations » qui s'imposent aux hommes. « Faire du thème de la séparation le grand thème du roman », avait écrit Camus dans ses notes (cf. voir Question de développement - thème de la séparation). Et, nous l'avons vu, il évoque, dans La Peste, les souffrances de tous les « séparés » : ceux qui ne peuvent rejoindre l'être aimé et ceux qui ont perdu définitivement un être cher, la plus grande séparation étant celle de la mort (cf. voir L'exil et la séparation - cours structuré). Ceci donne une valeur toute particulière à l'évocation du personnage d'Orphée à jamais séparée d'Eurydice (cf. voir Orphée et Eurydice, comme mise en abyme et illustration d'un mode de vie absurdement répétitif - cours structuré).
  • La souffrance inexplicable
    Il n'est pour Camus aucune explication possible à la souffrance en ce monde. Il s'en prend à Paneloux qui explique aux Oranais « qu'ils étaient condamnés pour un crime inconnu, à un emprisonnement inimaginable » (p.96). C'est ici l'idée du pêché originel (faute commise par Adam et Éve et qui est à l'origine d'une punition qui s'étend à toute leur descendance) que l'auteur de La Peste conteste totalement.
    Cette présence du Mal, vécue comme une fatalité qui pèse sur l'homme, est illustrée par le récit de la mort du petit Othon : le fléau a frappé un innocent et chacun le vit comme un scandale. Quel sens a un monde qui permet la mort d'un enfant dans d'atroces souffrances ? (cf. voir La mort du fils Othon - cours structuré) Camus refuse toute signification à ce monde et repousse donc toute foi en Dieu : « Je refuserai jusqu'à la mort, dit Rieux, qui est ici son porte-parole, d'aimer cette création où des enfants sont torturés » (p.199). Le médecin ne peut conclure qu'à l'inexistence de Dieu et à l'absurdité de l'univers.

La tragique de l'absurde

(Le texte suivant a été copié du Profil d'une œuvre ; La Peste, p.67)

Le récit tragique peut se définir comme celui d'une lutte, toujours recommencée et toujours vaine, contre des forces hostiles et écrasantes. Chez Camus, le tragique prend la figure de l'absurde, sous toutes les formes que nous venons d'évoquer. Apparemment, les hommes de La Peste remportent la victoire ; mais certains héros sont écrasés : Tarrou meurt - ironie tragique -, au moment où la maladie est vaincue ; Rieux a tout perdu : ami et femme aimée. Et surtout, « le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais » (p.279). La fin de La Peste ne constitue jamais qu'un moment de rémission. Le Mal persiste dans le monde.
Mais l'univers de La Peste n'est pas pour autant désespéré. C'est la révolte contre l'absurde qui donne sens, et raison de vivre, et dignité aux héros camusiens.

(cf. voir Albert Camus choisit un contexte d'épidémie pour exposer une réflexion sur la condition humaine)

(cf. voir « La Peste ne constitue pas une peinture désespérée de la condition humaine. » Discutez cette affirmation en basant votre réflexion sur des arguments pertinents et sur des exemples précis empruntés au roman d'Albert Camus.)


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