L'exil et la séparation

Une fois que les portes de la ville sont fermées, la situation des Oranais est radicalement changée: « ils s'aperçoivent qu'ils sont tous pris dans le même sac ». (p.75) La séparation qui est certes un sentiment individuel devient alors également un sentiment collectif, comme Camus l'a explicitement écrit dans un de ses carnets: « Tous sont renvoyés à leur solitude. Si bien que la séparation devient générale... Faire ainsi du thème de la séparation le grand thème du roman. »

A Oran, on n'autorise aucun traitement de faveur, on autorise uniquement le retour de ceux qui étaient partis avant l'épidémie. Cependant, les prisonniers de la peste comprennent le danger auquel ils exposent leurs proches et se résignent donc à souffrir cette séparation. Castel et son épouse feront exception à la règle: ils comprennent « qu'ils ne p[euvent] pas vivre éloignés l'un de l'autre, et qu'auprès de cette vérité soudain mise à jour, la peste [es]t peu de chose ». (p.78)

Les séparés souffrent d'une double souffrance: « notre souffrance d'abord et celle ensuite que nous imaginions aux absents, fils, épouse ou amante. ». (p.79) Les séparés souffrent d'un mal-être général: c'était le sentiment de l'exil. Le moment présent est dur à vivre parce que la personne aimée est absente, mais les souvenirs sont également douloureux parce qu'ils donnent naissance à des regrets, regrets de ne pas avoir vécu ces moments de façon plus intense. Pour éviter cette souffrance, les exilés se permettent seulement des « souvenirs stériles ». Or, si on évoque le passé et qu'on ne permet pas aux émotions de surgir, ce passé reste frustrant. De plus, pour éviter l'effondrement, les exilés « s'astreign[ent] à ne jamais penser au terme de leur délivrance, à ne plus se tourner vers l'avenir et à toujours garder, pour ainsi dire, les yeux baissés ». (p.80) « Impatients de leur présent, ennemis de leur passé et privés d'avenir, [ils] ressembl[ent] bien ainsi à ceux que la justice ou la haine humaines font vivre derrière les barreaux. » (pp.80-81) Pour finir, l'avenir se refait donc une place dans cet état d'emprisonnement qui empêche les séparés de respirer.

Les Oranais ont du mal à saisir la réalité de la situation qu'ils vivent. « Ce n'est qu'à la longue, en constatant l'augmentation des décès, que l'opinion publique pr[end] conscience de la vérité. » Pourtant les Oranais gardent «l'impression qu'il s'ag[it] d'un accident sans doute fâcheux, mais après tout temporaire», ils « f[ont] mine d'accepter avec bonne humeur des incovénients évidemment passagers. Les apparences sont sauvées. » (p.86) En effet, le commerce lui aussi était mort de la peste et, comme faute de travail, les Oranais sont en congé et sortent plus q'à l'ordinaire et que, faute de ravitaillement, les voitures sont à l'arrêt et beaucoup de magasins ont fermé leurs portes. Quoi qu'il en soit, les préoccupations personnelles l'emportent encore et toujours: « Personne n'avait encore accepté réellement la maladie. La plupart étaient surtout sensibles à ce qui dérangeait leurs habitudes ou atteignait leurs intérêts. » (p.85) De même, les Oranais continuent à mettre au premier plan leurs sentiments personnels.

Dans ces conditions d'exception, les amants séparés sont des privilégiés. Ils souffrent certes doublement: d'abord de la peste qui est le fléau qui est à l'origine de leur séparation, mais aussi des remords qu'ils ont quant au caractère médiocre de leur amour dont ils se rendent compte maintenant que leur autre moitié leur manque. Il reste que « ces exilés, dans la première période de la peste, furent des privilégiés. [...] Leur désespoir les sauvait de la panique, leur malheur avait du bon. » (p.84) Ainsi, certains mourront sans même s'en rendre compte.

(cf. voir Le thème de la séparation dans La Peste. Développez votre réponse en vous appuyant d'un côté sur l'exemple de deux personnages particulièrement touchés, et de l'autre, sur la situation générale concernant les habitants d'Oran.)


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