Table des matières
Un roman de formation
Zadig est un roman d'apprentissage et de formation: un jeune héros passe de l'adolescence à l'âge adulte par une pénible découverte du réel. Il fait surtout l'expérience de la désillusion. Cet apprentissage concerne les différents domaines: l'amour, le pouvoir et la philosophie.
L'alternance de périodes heureuses et malheureuses dans le parcours de Zadig amène la réflexion sur le rôle de la Providence, du hasard et du destin. On constate que les progès de Zadig ne débouchent pas sur une récompense, un bonheur acquis pour son mérite. Zadig est le héros d'un roman de formation / d'apprentissage et le bonheur n'est pas un état stable et définitif. Les autres personnages ne sont que les fonctions, réduites à une seule caractéristique.
Le héros fait donc son apprentissage dans trois domaines:
1) L'amour
L'amour exprime dès le début du roman les effets maléfiques du temps qui détruit l'idéal. Même l'amour le plus absolu, celui qui repose sur la communication la plus parfaite de deux êtres, n'échappe pas à la dégradation et à l'évolution inévitable des individus. Le mariage avec Sémire, aboutissement des rêves de Zadig, devait précisément inscrire l'amour dans la durée. Mais le temps empêche que se réalise la perfection de l'amour, c'est-à-dire la fidélité. Tel est le thème des deux premiers chapitres. Sémire éprouve un amour que rien ne paraît pouvoir dissoudre. Passion éphémère pourtant, puisque Sémire abandonne Zadig et se marie avec Orcan (Chapitre I).
Zadig pense alors trouver son bonheur en épousant Azora. Mais on fait croire à la jeune épouse que son mari est mort. Elle réagit d'abord avec désespoir ; trés vite cependant elle se console avec Cador, l'ami de Zadig.
La trahison de Sémire, puis celle d'Azora révèlent à Zadig l'illusion de l'amour.
La première abdication de Zadig au contact de la vie s'effectue donc sur le plan sentimental. Il découvre que la fidélité est une illusion. Après « la lune de miel » vient « la lune de l'absinthe ». (Chapitre III)
- Sémire incarne l'égoïsme et la frivolité cruelle
- La jeune Cosrou et Azora incarnent l'infidélité conjugale
- La femme d'Arimaze, l'Envieuse, incarne la jalousie
- La reine Astarté est une figure positive de l'amour qui est véritablement digne des hautes qualités de Zadig
2) Le pouvoir
Après sa déconvenue amoureuse, Zadig tente de trouver « son bonheur dans l'étude de la nature ». Il veut devenir savant et « philosophe » (Chapitre III). Grâce à l'étude des sciences, Zadig cherche à se replier sur lui-même, à se mettre à l'abri des agressions du monde extérieur. Il s'installe pour cela « dans une maison de campagne sur les bords de l'Euphrate », qui devient le symbole du jardin intérieur dans lequel il se retire. A l'image de Voltaire lui-même, Zadig devient un savant parfait dans l'esprit de la philosophie des Lumières. Sa méthode, fondée sur l'empirisme, fait l'observation scrupuleuse des phénomènes de la nature, la condition du progrès en matière scientifique. Mais cette méthode qu'il applique lorsque l'on cherche le chien et le cheval, ne lui attire que des ennuis avec la justice et le roi.
Zadig apprend ainsi qu'il peut être dangereux d'être savant, d'examiner, de réfléchir, c'est-à-dire d'exercer son esprit critique.
Les déboires de Zadig avec la justice du roi, qui ne veut pas admettre des vérités fondées sur l'observation, lui montrent la difficulté de faire de la raison un absolu universel. Zadig est confronté à l'illusion du savoir intellectuel.
(cf. voir L'illusion sociale et politique: les méfaits de l'envie / les vicissitudes de la Cour)
L'envie dont il est aussi la victime lui apprend combien il est dur de s'imposer dans la société. Zadig se rend compte qu'il avait de fausses idées sur la société. Les expériences qu'il fait mettent un termes à ses illusions sociales.
Dans les chapitres V à VIII, nous assistons à l'ascension, puis à la chute politique de Zadig, dues au destin et à l'arbitraire royal.
Voltaire ne se contente pas de proposer une réflexion sur la fortune et ses revers. Il ajoute à son conte une satire du pouvoir injuste et arbitraire, proposant en creux la figure du bon monarque, ce fameux monarque éclairé auquel les Lumières aspirent. Finalement, ce n'est même pas seulement la fortune qu'il conviendrait d'accuser des malheurs de Zadig, mais aussi les passions capricieuses d'un monarque jaloux, abusant de sa toute-puissance.
A cause de ses qualités exceptionnelles, Zadig a été choisi comme premier ministre: tout Babylone profite de son travail et il est particulièrement doué pour « démêler la vérité » jusuq'à ce que la jalousie du roi le contraigne à fuir Babylone.
Le bon roi serait celui qui, avant de commander aux autres, se commande à lui-même. Ainsi, le conte de Voltaire propose une satire du pouvoir absolu de droit divin qui peut, d'un revers de main, décider de vie ou de mort sur tel ministre ou individu, fût-il de ses favoris.
A la cour de Babylone, Zadig est constamment exposé aux intrigues de rivaux médiocres et méchants:
- L'archimage Yébor, « le plus sot des Chaldéens », figure le fanatisme
- Arimaze, l'Envieux, figure la méchanceté et l'envie
3) La philosophie
Son parcours pousse Zadig à réfléchir sur le sens de la vie et du bonheur.
A la fin du chapitre VIII, son bonheur éphémère (chapitres V-VII) prend fin et, désepéré et désillusionné, Zadig, le juste et le véridique, réfléchit sur la fortune et ses revers (cf. voir synthèse chapitres I-IV): « Qu'est-ce donc que la vie humaine? Ô vertu! A quoi m'avez vous servi? Deux femmes m'ont indignement trompé ; la troisième qui n'est point coupable, et qui est plus belle que les autres, va mourir! Tout ce que j'ai fait de bien a toujours été pour moi une source de malédictions, et je n'ai été élevé au comble de la grandeur que pour tomber dans le plus horrible précipice de l'infortune. Si j'eusse été méchant comme tant d'autres, je serais heureux comme eux. »
Mais on ne peut pas seulement accuser la fortune des malheurs de Zadig comme nous venons de le voir. Mais quelque désespéré et désillusionné qu'il soit, Zadig n'abandonne pas: « (...) les yeux chargés du voile de la douleur, la pâleur de la mort sur le visage, et l'âme abîmée dans l'excès d'un sombre désespoir, il continuait son voyage vers l'Egypte. »
La satire dans Zadig
Toute sa vie, Voltaire a combattu les abus et les injustices. Victime d'ennemis jaloux, de la censure et de l'arbitraire du pouvoir monarchique, il choisit le conte philosophique pour s'exprimer et critiquer de son temps. c'est pourquoi, au-delà de ses aspects romanesques et de ses interrogations philosophiques, Zadig se présente aussi comme une satire. On appelle « satire » un texte qui use de la raillerie ou de l'indignation pour dénoncer des scandales et des impostures (= action de tromper par des discours mensongers, de fausses apparences).
dans Zadig, Voltaire a recours au conte oriental pour pratiquer la satire. Ses contemporains étaient friands de tout ce qui avait trait à l'Orient. Ainsi, Voltaire utilise le décor oriental pour séduire ses lecteurs, mais ne compose pas un vrai conte des Mille et Une Nuits ; il ne dépayse pas véritablement ses lecteurs ni par le décor ni par le merveilleux propre à ce genre de conte. Il veut créer une distance, mais, par la transposition, il se livre à la critique de son époque et de ses contemporains et, en même temps, il se livre à une vive critique de l'imaginaire oriental.
Ainsi, Zadig offre toutes les apparences d'un écrit des Mille et Une Nuits (cf. passé indéterminé, lieux, coulisses, noms des personnages, titres des personnages, rôles, évocation des coutumes religieuses et des magistratures politiques et judiciaires). L'atmosphère est féérique et enchantée ; le surnaturel y a sa place. Des personnages typiques des Mille et Une Nuits y font leur entrée. finalement, le goût de l'apologue, petite fable qui vise à faire passer une leçon morale, est commun aux Mille et Une Nuits et à Zadig, dont chaque chapitre, par sa brièveté et son caractère de démonstration qui est annoncé par son titre, peut être considéré comme un apologue.
Pour Voltaire, le conte oriental fait un usage excessif et dangereux de l'imagination, qui peut mettre en péril l'exercice de la raison. Pour Voltaire, philosophe des Lumières, la raison doit découvrir la vérité en dissipant les ténèbres de l'irrationnel. La raison doit élucider ce qui paraît d'abord obscur et confus, ce qui relève de l'imaginaire. Dans Zadig, l'imaginaire se confond avec le reomanesque du conte oriental. L'imaginaire et le romanesque renvoient à l'opacité de la vie ; le héros fait des efforts pour y voir clair.
Le pouvoir absolu, cible de la satire
Et, nous savons que l'Orient constituait le mythe du pouvoir fanatique et tyrannique. Ce cadre renvoyait donc d'emblée le lecteur d'une justice barbare, d'une autocratie (= forme de gouvernement où le souverain exerce lui-même une autorité sans limites) obscurantiste en tant qu'elle ne fait nul appel à la raison ou au jugement de bon sens. Jouant comme symbole, et non littéralement, la fiction orientale livrait du même coup une critique constante de l'exercice du pouvoir tel que Voltaire l'observait, non dans la lointaine et mythique Babylone, mais dans l'Europe du 18e siècle. Voltaire fut, ne l'oublions pas, le correspondant de Frédéric II, et même son conseiller temporaire. Comme Diderot et Catherine II de Russie, Voltaire voulut incarner cette figure du philosophe éclairé, conseillant le roi afin qu'il fût juste. Le monarque doit pouvoir s'abstraire des passions et des attitudes courtisanes, faire preuve de discernement dans l'application des lois ; en un mot, imposer son bon jugement, dirigé par la raison éclairée.
Le monarque idéal
Dans une monarchie absolue de droit divin, il n'est ni progrès ni effet civilisateur sans tempérance de ce pouvoir. Si le roi décide seul pour tout le royaume, il faut qu'il soit éclairé, juste et non pas tyrannique. Zadig suggère les moyens de tempérer (= modérer, assagir) le pouvoir autocrate (d'un despote, dictateur, tyran, c'est-à-dire d'un souverain dont la pouissance n'est soumise à aucun contrôle) par l'intermédiaire d'un ministre juste ou d'un philosophe éclairé.
Pour Voltaire, l'idéal serait une monarchie de type libéral, où les opinions peuvent s'exprimer librement, de manière à ce que l'autorité du roi serve au mieux les intérêts de ses sujets. Voltaire rêve d'un despote éclairé, qui fasse régner la justice, la tolérance et la raison. Zadig réalise ce rêve comme premier ministre et le réalisera plus tard comme roi.
Moabdar s'oppose à ce modèle. C'est un homme d'un caractère violent et qui est influençable. Tant que Zadig est son premier ministre, Babylone est bien gouvernée. Moabdar accepte alors même la contradiction. Mais, dès que le roi est en proie à la jalousie, son pouvoir se transforme en tyrannie.
Le conte illustre ainsi les méfaits du despotisme (= pouvoir absolu, arbitraire et oppressif du souverain). Mais Voltaire, par la mise en scène d'un ministre juste qui rappelle la figure mythique du roi Salomon, mais surtout par le choix d'une fin heureuse et optimiste rend possible l'espoir d'un règne juste.
Le système judiciaire, cible de la satire
Mais Voltaire a aussi recours à la satire pour dénoncer les abus de la justice de son temps: la corruption des magistrats, la confusion entre intérêts publics et intérêts privés, le caractère bâclé des procès, la cruauté des sentences. Les démêlés continuels de Zadig avec la justice reflètent les défauts d'un système judiciaire fondé sur l'arbitraire et la passion plus que sur l'équité et la raison.
Le fanatisme religieux, cible de la satire
Voltaire croit en Dieu, mais rejette les dogmes, les rites, les institutions et le clergé. Il rêve d'une religion qui rapproche les hommes au lieu de les diviser. Il se fait le défenseur du déisme, d'une religion naturelle qui croit en un Être supérieur, un « Dieu du ciel de la Terre » qui est universel, qui est au-delà des particularismes (dogmatiques et nationaux). Au lieu de s'occuper de spiritualité, les religions se préoccupent souvent de rites absurdes et parfois barbares. Zadig explique que Dieu ne se soucie pas de ces manies.
Mais Voltaire s'en prend surtout aux prêtres fanatisés qui servent moins Dieu que leurs intérêts personnels. Alors que la religion devrait prêcher l'amour, la justice et le respect du prochain, les prêtres que nous croisons dans Zadig sont des êtres sanguinaires, affamés de pouvoir et d'argent.
Les armes de la satire
L'ironie
L'ironie consiste à faire semblant de croire vraie une proposition manifestement fausse, de telle sorte que le lecteur perçoive un désaccord flagrant entre ce qui est énoncé et la vérité. Ce moyen est particulièrement efficace pour tourner en ridicule et dénoncer le scandale ou l'absurdité d'un comportement ou d'une idée.
Souvent Voltaire adopte un ton faussement détaché et fait semblant d'adopter le point de vue des oppresseurs. Il présente sur un ton naturel des comportements qui relèvent de fait de la cupidité, du fanatisme et de la barbarie.
L'ironie peut aussi prendre la forme de l'antiphrase, c'est-à-dire d'un énoncé qui veut faire comprendre un message dont le sens est à l'opposé de l'expression littérale. Voltaire en use beaucoup quand il s'agit de mettre en évidence l'absurdité de certaines coutumes.
La parodie
La parodie est l'imitation comique d'un énoncé ou d'un genre littéraire sérieux. Grâce à la parodie, Voltaire dénonce le décalage entre l'air sérieux et imposant que certains individus veulent se donner et leurs véritables sentiments.
Ainsi, Voltaire s'amuse à parodier le style grandiloquent avec lequel l'on s'adresse à de hautes personnalités. Mais il parodie également le roman sentimental et larmoyant dont ses contemporains raffolaient. Les chapitres consacrés aux relations amoureuses de Zadig reprennent les clichés et le style pathétique de ces romans. Le style est alors aussi excessif que le sont les scènes.
La dévalorisation par le réalisme burlesque
Le burlesque peut être défini comme l'utilisation de termes triviaux et ridicules pour traiter de situations dont on parle normalement avec sérieux et gravité. Comme la parodie, le burlesque dégonfle les prétentions faussement nobles et idéalistes par des détails crus et réalistes.
Voltaire use beaucoup du réalisme burlesque pour tourner en dérison la vanité ou l'absurdité de certains comportements ; les détails sordides cassent le pathétique de la situation et transforment le personnage en caricature: lorsque Zadig est nommé premier ministre, l'Envieux en a un crachement de sang et son nez gonfle.
Lorsqu'une scène prend un tour dramatique, Voltaire en brise le sérieux par l'introduction d'un détail grotesque: l'Envieuse fait la cour à Zadig en se montrant en femme vertueuse et finit par faire tomber sa jarretière.
Souvent Voltaire réduit un sentiment, une attitude, une coutume à un détail démesurément grossi pour s'en moquer: la passion du roi est réduite à des babouches, des rubans et un bonnet ; les « sectes opiniâtres » s'occupent du pied avec lequel il faut franchir le seuil du temple.
Les effets d'accélération et de surprise
Voltaire joue sur la construction du récit et le tempo de la narration pour créer des effets comiques qui font apparaître le scandale ou la bêtise d'une situation: l'arbitraire et le caractère expéditif de la justice.
Il joue aussi avec les effets de surprise et des renversements de situation pour mettre en lumière l'incohérence des coutumes et l'injustice de la vie: épisode du poème rompu.