Les différentes positions adoptées face à la peste

« [...] nulle puissance terrestre et pas même la vaine science humaine, ne peut faire que vous l'évitiez», dit le père Paneloux dans son premier prêche. C'est ainsi que l'on peut pointer l'opposition fondamentale entre cet homme d'Eglise et le docteur Bernard Rieux qui dit: «J'ai trop vécu dans les hôpitaux pour aimer l'idée de punition collective.» Et, toujours selon la même logique, il rejette l'idée que la peste a sa bienfaisance, qu'elle ouvre les yeux, qu'elle force à penser. Il estime que «ce qui est vrai des maux de ce monde est vrai aussi de la peste. Cela peut servir à grandir quelques-uns. Cependant, quand on voit la misère et la douleur qu'elle apporte, il faut être fou, aveugle ou lâche pour se résigner à la peste.» (p.132)

Rieux refuse de voir la peste, qui est un symbole rappelons-le, comme une chance et rappelle qu'elle est ambivalente: elle permet à certains de révéler le meilleur d'eux-mêmes, mais cette épidémie est avant tout destructrice et meurtrière. Et cette différence dans la façon de considérer le Mal ne s'explique pas seulement par le fait que Rieux incarne la position de l'athée: «Paneloux est un homme d'études. Il n'a pas vu assez mourir et c'est pourquoi il parle au nom d'une vérité. Mais le moindre prêtre de campagne qui administre ses paroissiens et qui a entendu la respiration d'un mourant pense comme moi. Il soignerait la misère avant de vouloir en démontrer l'excellence», explique Rieux à Tarrou. (p.133) Ce médecin est un homme modeste qui ne prétend pas détenir la vérité: «Je suis dans la nuit, et j'essaie d'y voir clair.» Il explique «que s'il croyait en un Dieu tout-puissant, il cesserait de guérir les hommes, lui laissant alors ce soin. Mais que personne au monde, non, pas même Paneloux qui croyait y croire, ne croyait en un Dieu de cette sorte, puisque personne ne s'abandonnait totalement et qu'en cela du moins, lui, Rieux, croyait être sur le chemin de la vérité, en luttant contre la création telle qu'elle était. » (p.133)
Au début de sa pratique professionelle, Rieux était jeune et son dégoût croyait s'adresser à l'ordre même du monde. «Depuis [il est] devenu plus modeste. Simplement, [il] n'[est] toujours pas habitué à voir mourir. [Il] ne sait rien de plus. Mais après tout, puisque l'ordre du monde est réglé par la mort, peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu'on ne croie pas en lui et qu'on lutte de toutes ses forces contre la mort, sans lever les yeux vers le ciel où il se tait.» (pp.134-135) Rieux reprend l'idée qu'il a déjà énoncée antérieurement: «Là était la certitude, dans le travail de tous les jours. L'essentiel était de bien faire son métier.» (p.49)
La morale personnelle de Rieux se traduit par sa conception de la condition humaine: il ne croit pas en Dieu, mais ne peut pas accepter passivement un monde où il y a le Mal (la souffrance, l'agonie, la maladie, la mort,...), un monde absurde où les «victoires seront toujours provisoires». Pour lui, ce n'est pas une raison pour cesser de lutter. Sa morale personnelle se traduit par une attitude de lutte active: bien faire son métier, c'est donc bien faire son métier de médecin, mais également bien faire son métier d'homme. La révolte telle qu'il l'entend, n'est pas vaine puisqu'elle s'ancre dans la solidarité et la fraternité et permet à l'homme d'affirmer sa dignité. Rieux est infiniment modeste: il fait ce qu'il croit devoir faire sans jamais se donner en exemple, il n'invite pas les autres à le rejoindre, mais ils le suivent de leur propre gré.

Tel est notamment le cas pour Tarrou. Ce dernier propose de rejoindre Rieux dans sa lutte. Il estime que l'organisation du service sanitaire est mauvaise et a élaboré un plan d'organisation pour les formations sanitaires volontaires (FSV). Cet engagament peut être mortel. Ce personnage se caractérise donc par une attitude de compréhension et de sympathie qui définit sa morale: en créant les FSV - qui symbolisent ce qu'a pu être l'organisation de la Résistance pendant la Deuxième Guerre mondiale - il s'engage aux côtés de ceux qui souffrent et cela au risque de sa vie.

Grand est un personnage qui, de prime d'abord paraît humble et ridicule par sa recherche éperdue du mot juste tant dans la vie que dans son travail d'écriture. Mais, à bien considérer le roman, nous nous rendons compte que ce personnage incarne l'idée des limites du langage: les mots sont insuffisants pour traduire les vrais sentiments. C'est pourquoi l'amitié, la fraternité et la solidarité qui lient Rieux, Tarrou et Grand, qui sont engagés dans les FSV, l'emportent sur les «voix inconnues et fraternelles [qui] s'essay[ent] maladroitement à dire leur solidarité et la dis[ent], en effet, mais démontr[ent] en même temps la terrible impuissance où se trouve tout homme de partager vraiment une douleur qu'il ne peut pas voir.» Ceux qui ne sont pas à Oran, les gens qui ne vivent pas la peste sont trop loin pour ressourcer ceux qui sont confrontés au Mal: «aimer ou mourir ensemble, il n'y a pas d'autre ressource. Ils sont trop loin...», pense le docteur. (p.145)

Et même Rambert va évoluer dans ce sens et se proposera de rejoindre - jusqu'à ce qu'il ait trouvé un moyen de quitter la ville - l'équipe des formations sanitaires que le père Paneloux a également rejointes entretemps.
Au début, Rambert estime que défendre son bonheur personnel, c'est se défendre contre la peste. Ce qui fait souffrir le journaliste, c'est la séparation d'avec l'être aimé. Même si «la recherche d'une ouverture dans les murs qui le sépar[ent] d'elle» lui fait par moments oublier sa femme, dès qu'il repense à elle, il se trouve face à cette atroce brûlure qui le fait autant souffrir. (p.156)
Si donc, dans un premier temps, Rambert, qui a fait la guerre d'Espagne, ne s'engage pas dans les formations sanitaires, ce n'est pas par manque de courage, mais par souci de ne pas perdre de temps pour être heureux: «j'en ai assez des gens qui meurent pour une idée. Je ne crois pas à l'héroïsme, je sais que c'est facile et j'ai appris que c'était meurtrier. Ce qui m'intéresse, c'est qu'on vive et qu'on meure de ce qu'on aime.» (p.168) Il pense que Rieux est une machine dépourvue de sentiments humains qui ne fait qu'établir et exécuter des ordres. En échangeant avec Rieux, il comprendra que sa position n'est en somme pas si différente de celle du médecin. Rieux fait remarquer à Rambert que «l'homme n'est pas une idée», c'est-à-dire qu'il ne lutte pas pour défendre une idée quand il s'engage dans la lutte contre le Mal, mais qu'il s'engage pour sauver des hommes. Rambert n'est pas d'accord: «C'est une idée, et une idée courte, à partir du moment où il se détourne de l'amour. Et justement, nous ne sommes plus capables d'amour. Résignons-nous, docteur. Attendons de le devenir et si vraiment ce n'est pas possible, attendons la délivrance générale sans jouer au héros.» (p.168) Rieux lui répond: «il ne s'agit pas d'héroïsme dans tout cela. Il s'agit d'honnêteté. C'est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c'est l'honnêteté. [...] Je ne sais pas ce qu'elle est en général. Mais dans mon cas, je sais qu'elle consiste à faire mon métier.» (p.169)
Quand Rambert apprend que Rieux est aussi un séparé, il pourra accepter l'idée que la recherche de l'amour et la lutte contre le Mal ne s'excluent pas. Il rejoint alors Rieux dans son combat qui est profondément humaniste puisqu'il est à la fois généreux et conscient de la dimension tragique de la condition humaine.
Rambert représente donc ceux qui, dans l'Histoire, ont mis du temps pour rejoindre la Résistance. De plus, il incarne la nécessité vitale de l'aspiration au bonheur.

Cottard est effectivement le seul personnage négatif du roman. Les autres à qui l'on pourrait reprocher un manque d'humanité évolueront en effet. Mais Cottard incarne le profiteur: l'état de peste fait qu'il n'est pas poursuivi pour des méfaits passés.

(cf. voir Grand, un héros?)

(cf. voir Le personnage de Rieux, un homme d'action)

(cf. voir Pour Bernard Rieux, « l'essentiel est de bien faire son métier ».)

(cf. voir Les personnages et les différentes attitudes devant la peste)

(cf. voir Deux conceptions radicalement opposées: opposition Rieux - Paneloux)

(cf. voir Tarrou et Rieux sont deux hommes révoltés qui, pour des raisons différentes, refusent un ordre du monde régi par la mort, mais qui se caractérisent par une grande capacité de compréhension. Expliquez et illustrez.)


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