Le véritable héroïsme - Grand, un héros?

Le texte suivant a été recopié du Profil d'une oeuvre (pp.73-74)

L'exigence d'authenticité imprègne la conception que se fait Camus de l'héroïsme. L'héros n'est pas celui qui effectue en un moment privilégié une « belle action » dont un narrateur se ferait le chantre au risque de la dénaturer. L'exemple de héroïsme se trouve dans le personnage de Joseph Grand. Il y a bien sûr un paradoxe à faire de ce modeste employé de mairie, qui passe son temps à des tâches ordinaires et répétitives et qui paraît ridicule à bien des égards, le héros du livre. Son patronyme même semble, au premier abord, l'effet d'une dérision de l'auteur. Mais, à la vérité, il y a une réelle grandeur de Joseph Grand. Sa grandeur tient à son authenticité ou à sa sincérité: il ne rougit pas d'évoquer des sentiments vrais et les émotions simples qu'il éprouve. Sa recherche du mot juste semble contradictoire avec l'utilisation fréquente qu'il fait des clichés dans la conversation avec le commissaire ou dans la rédaction de sa première phrase de roman. Mais sa grandeur est précisément dans son insatisfaction devant les mots qu'il trouve, qui témoignent de la conscience qu'il a des limites du langage.
Sa grandeur vient surtout de la bonté profonde qui l'habite et qui lui fait accepter une tâche peu gratifiante mais utile dans les « formations sanitaires » de Tarrou. Elle vient aussi de son humilité, qui va de pair avec son exigence de dignité. Elle vient enfin de l'exigence qui est la sienne de poursuivre un idéal qui - si modeste soit-il, si ridicule puisse-t-il au premier abord paraître - lui permet de donner sens à son existence.


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