La satire dans Zadig

Toute sa vie, Voltaire a combattu les abus et les injustices. Victime d'ennemis jaloux, de la censure et de l'arbitraire du pourvoir monarchique, il choisit le conte philosophique pour s'exprimer et critiquer la société de son temps. C'est pourquoi, au-delà de ses aspects romanesques et de ses interrogations philosophiques, Zadig se présente aussi comme une satire.


Table des matières

Le pouvoir absolu, cible de la satire

Nous savons que l'Orient constituait le mythe du pouvoir fanatique et tyrannique. Ce cadre renvoyait donc d'emblée le lecteur au symbole d'une justice barbare d'une autarcie obscurantiste en tant qu'elle ne fait nul appel à la raison ou au jugement de bon sens. Jouant comme symbole, et non littéralement, la fiction orientale livrait du même coup une critique constante de l'exercice du pouvoir tel que Voltaire l'observait, non dans la lointaine et mythique Babylone, mais dans l'Europe du 18e siècle. Voltaire fut, ne l'oublions pas, le correspondant de Frédéric II, et même son conseiller temporaire. Comme Diderot et Catherine II de Russie, Voltaire voulut incarner une figure du philosophe éclairé, conseillant le roi afin qu'il fût juste. Le monarque doit pouvoir s'abstraire des passions et des attitudes courtisanes, faire preuve de discernement dans l'application des lois ; en un mot, imposer son bon jugement, dirigé par la raison éclairée.

Le monarque idéal

Dans une monarchie absolue de droit divin, il n'est ni progrès ni effort civilisateur sans tempérance de ce pouvoir. Si le roi décide seul pour tout le royaume, il faut qu'il soit éclairé, juste et non pas tyrannique. Zadig suggère les moyens de tempérer le pouvoir autocrate (d'un despote, dictateur, tyran, c'est-à-dire d'un souverain dont la puissance n'est soumise à aucun contrôle) par l'intermédiaire d'un ministre juste ou d'un philosophe éclairé.
Pour Voltaire, l'idéal serait une monarchie de type libéral, où les opinions peuvent s'exprimer librement, de manière à ce que l'autorité du roi serve au mieux des intérêts de ses sujets. Voltaire rêve d'un despote éclairé, qui fasse régner la justice, la tolérance et la raison. Zadig réalise ce rêve comme premier ministre et le réalisera plus tard comme roi.

Moabdar s'oppose à ce modèle. C'est un homme d'un caractère violent et qui est influençable. Tant que Zadig est son premier ministre, Babylone est bien gouvernée. Moabdar accepte alors même la contradiction. Mais, dès que le roi est en proie à la jalousie, son pouvoir se transforme en tyrannie.
Le conte illustre ainsi les méfaits du despotisme. Mais Voltaire,, par la mise en scène d'un ministre juste qui rappelle la figure mythique du roi Salomon, mais surtout par le choix d'une fin heureuse et optimiste rend possible l'espoir d'un règne juste.

Le système judiciaire, cible de la satire

Mais Voltaire a aussi recours à la satire pour dénoncer les abus de la justice de son temps: la corruption des magistrats, la confusion entre intérêts publics et intérêts privés , le caractère bâclé des procès, la cruauté des sentences. Les démêlés continuels de Zadig avec la justice reflètent les défauts d'un sytème judiciaire fondé sur l'arbitraire et la passion plus que sur l'équité et la raison.

Le fanatisme religieux, cible de la satire

Voltaire croit en Dieu, mais rejette les dogmes, les rites, les institutions et le clergé. Il rêve d'une religion qui approche les hommes au lieu de les diviser. Il se fait défenseur du déisme, d'une religion naturelle qui croit en un Être supérieur, un « Dieu du ciel et de la Terre » qui est universel, qui est au-delà des particularismes (dogmatiques et nationaux). Au lieu de s'occuper de spiritualité, les religions se préoccupent souvent de rites absurdes et parfois barbares. Zadig explique que Dieu ne se soucie pas de ces manies.
Mais Voltaire s'en prend surtout aux prêtres fanatisés qui servent moins Dieu que leurs intérêts personnels. Alors que la religion devrait prêcher l'amour, la justice et le respect du prochain, les prêtres que nous croisons dans Zadig sont des êtres sanguinaires, affamés de pouvoir et d'argent.

Le déisme, explication Le dictionnaire portatif du bachelier

Attitude philosophique ou « religieuse » de ceux qui croient en l'existence d'un Dieu, mais refusent l'idée de toute révélation particulière de ce Dieu.
Le désime s'oppose d'une part à l'athéisme (qui nie l'existence d'une divinité) et d'autre part aux diverses religions (qui prétendent que la divinité s'est adressée aux hommes par leur intermédiaire).
Le déisme ne croit pas en un Dieu personnel, mais plutôt en un Etre suprême, créateur de l'univers et relativement distant des hommes,- position illustrée par Voltaire notamment. Il en résulte que le déisme est une croyance sans culte, une « religion naturelle » réduite au « culte du coeur », selon l'expression de Rousseau. (...)
Pas plus qu'il n'y a de culte, le déisme n'a pas de dogme. Le Dieu des déistes est simplement la Cause première à l'origine de l'univers, le « grand horloger » qui fait fonctionner plus ou moins harmonieusement la grande « horloge » qu'est le cosmos (l'image est de Voltaire).

La satire des mœurs et des institutions

La distance impliquée par la fiction orientale permet également d'attaquer indirectement les mœurs et les institutions du siècle des Lumières. Pour preuve, citons la parodique Approbation publiée en première page de Zadig. Cette parodie moque l'institution des privilèges royaux, accordés à un ouvrage seulement s'il était jugé conforme aux bonnes mœurs et à la religion. Les ouvrages condamnés étaient brûlés, interdits ; on envoyait leurs auteurs à la Bastille, comme Voltaire en 1717, ou en exil. L'institution royale mais aussi la justice et la religion étaient aux mains de privilégiés qui ne souffraient pas les contestations. Zadig rend compte de cette opposition constante des pouvoirs, qui empêchait le bonheur des individus. Ainsi, l'on voit tour à tour Zadig en grâce, puis en disgrâce, véritable jouet des caprices du pouvoir. Le conte de Voltaire mène une réflexion sur la liberté et ses limites structurelles. Ce qui est encore critiqué, à travers la satire des institutions, c'est la concentration de tous les pouvoirs aux mains d'un seul, et l'arbitraire qui peut naître d'une telle disposition politique.

En donnant son conte le titre de Zadig ou la Destinée, Voltaire y inscrit tout particulièrement la question morale, puisqu'il s'agit d'interroger l'existence de Zadig à travers ses aventures, au regard du bonheur qu'il atteint ou manque. Quel est le destin de cet individu, bien né et plein de bon sens, confronté aux mœurs rigides et obscurantistes? Le titre de l'ouvrage confère donc toute son importance à la critique des mœurs, qui est aussi un leitmotiv de la philosophie des Lumières. Pour engager la satire sans attirer les foudres irréparables du pouvoir, l'on eut souvent recours à la technique de l'œil neuf, à un personnage décalé, qui enrayle le mécanisme trop bien huilé des institutions en place. Qu'il s'agisse du Persan de Montesquieu, du bon sauvage de Diderot, du Huron et du Candide de Voltaire, du paysan ingénu de Marivaux, le regard naïf met à mal l'évidence satisfaite de la coutume qui se croit raisonnable, au nom du bon sens de celui qui n'a pas été corrumpu par la société.

La morale occupa le siècle, car les philosophes voulurent affranchir les mœurs du poids religieux et institutionnel en proposant pour nouveau guide la raison et son bon usage. Les « philosophes des Lumières », malgré leurs oppositions, s'entendaient sur l'exercice critique qu'il fallait mener contre les préjugés et les institutions, et ce travail d'examen rationnel passa parfois par l'humour et la satire, comme dans Zadig.

L'évolution de la science dans la première moitié du XVIIIe siècle intervint en faveur de cette contestation de l'esprit contre les mœurs inculquées et les institutions toutes-puissantes. En effet, sous l'influence des découvertes de Newton, nombre de vérités tenues pour acquises depuis des siècles volèrent en éclats. Imaginons seulement la révolution intellectuelle qu'impliquèrent des théories comme celles de la gravitation universelle, des lois optiques ou des bases du calcul infinitésimal. C'était découvrir le visage rationnel, mathématisé, d'une nature considéré jusqu'alors sous les traits divins. La physique dépendait dès lors de lois, de règles démontrables, et non plus de pétitions de principes imposées par la tradition religieuse, puisque la science officielle et l'Église n'ont longtemps fait qu'un. Cette nature, tout entière à découvrir, brisa également les certitudes sur la place de l'homme dans l'univers, mais aussi sur la conduite qu'il doit adopter, c'est-à-dire sur la morale. Cette nature « mathématisée » n'exclut pas forcément Dieu, surtout chez un Voltaire déiste, mais elle en repense les attributs. Chez Voltaire, Dieu est un « grand horloger », créateur et organisateur de l'univers. Cette position n'est donc pas antireligieuse, mais plutôt anticléricale. Encore une fois, ce qu'attaque Voltaire, c'est l'institution et non l'idée de Dieu!


Satire et orientalisme

Mais la satire ne peut jouer à plein que dans le cadre transposé du conte oriental. Rappelons que l'Orient constituait le mythe du pouvoir fanatique et tyrannique, que ce cadre renvoyait d'emblée le lecteur au symbole d'une justice barbare, d'une autocratie obscurantiste en tant qu'elle ne fait nul appel à la raison ou au jugement de bon sens. Jouant comme symbole, et non littéralement, la fiction orientale livrait du même coup une critique constante de l'exercice du pouvoir tel que Voltaire l'observait, non dans la lointaine et mythique Babylone, mais dans l'Europe du XVIIIe siècle. Voltaire fut, ne l'oublions pas, le correspondant de Frédéric II, et même son conseiller temporaire. Comme Diderot avec Catherine II de Russie, Voltaire voulut incarner cette figure du philosophe éclairé, conseillant le roi afin qu'il fût juste. Le monarque doit pouvoir s'abstraire des passions et des attitudes courtisanes, faire preuve de discernement dans l'application des lois ; en un mot, imposer son bon jugement, dirigé par la raison éclairée.

(cf. voir Zadig, le héros décalé)


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