Étude des personnages

Table des matières


Zadig

Entre héros et antihéros

Le personnage de Zadig est ambivalent, car il est à la fois le héros éponyme de l'œuvre et l'incarnation de l'œil neuf, du naïf, à la manière de Candide, qui sert la satire voltairienne. On se retrouve donc avec un jeune héros doué de toutes les qualités, intelligent, mais totalement dépourvu d'expérience. C'est justement à travers ses échecs et ses malheurs que la leçon du conte va pouvoir surgir. D'une certaine manière, Zadig constitue un « antihéros »: il ne rencontre pas la gloire et les récompenses, mais se voit sans cesse privé de ce qu'il eût pu mériter, allant jusqu'à devenir esclave, condition dégradante et radicalement antithétique à tout héroïsme. En amour, l'échec est identique. On n'a pas un héros digne de sa Dame, récompensé de sa constance et de son courage par la fidélité féminine. Au contraire, l'antihéros connaît une expérience déceptive de l'amour et fait une bien triste éducation sentimentale. La récurrence des personnages féminins inconstants (Sémire, Azora, Astarté elle-même vis-à-vis de son époux ...) plaide en ce sens. Le bonheur recherché par le héros semble toujours difficile et hors d'atteinte.
Il faut donc interpréter ce traitement antihéroïque du personnage principal, pourtant engagé dans la quête initiatique du bonheur. Voltaire s'interroge sur la destinée et ses aléas, sur les causes éventuelles du mal et du malheur. Il fallait donc un Zadig aux prises avec les difficultés de l'existence, avec l'injustice des institutions humaines et des revers de fortune. Zadig incarne à la fois le héros, son portrait emportant une certaine estime du lecteur, et l'antihéros, car il ne parvient pas à triompher des circonstances. Cette ambivalence montre la difficulté de la quête du bonheur, et qu'il ne suffit pas d'être héros, d'être méritant pour être heureux, mais que certains éléments du destin nous échappent. L'antihéros consacre l'ère du soupçon des récits où le refus de l'idéal s'impose. Alors que le héros traditionnel réaffirme dans son héroïsme des valeurs transcendantes et idéalistes, l'antihéros voltairien doute, propose le conte sceptique et ironique comme une réflexion sur la fragilité du bonheur humain.

Un héros aux grandes qualités

Jeune homme vertueux, Zadig appartient à la bonne société de Babylone. Héros essentiel puisqu'il donne son nom au récit, il réunit toutes les qualités physiques, intellectuelles et morales qui font de lui un personnage séduisant, promis au bonheur. La signification de son nom en hébreu, « le Juste », lui confère, d'emblée, un sens de la justice et du discernement.

Zadig, avec de grandes richesses, et par conséquent avec des amis, ayant de la santé, une figure aimable, un esprit juste et modéré, un coeur sincère et noble, crut qu'il pouvait être heureux. (Chapitre I)

Un héros au parcours initiatique

Son parcours est celui d'un héros de roman d'apprentissage. Au contact de l'expérience, il perd ses illusions et connaît l'échec, la trahison. Pourtant, à la différence de Candide, la chance lui sourit aussi, et le personnage décalé finit par incarner les aléas du destin. Successivement ministre, esclave et roi éclairé, Zadig est finalement comblé et heureux: sa destinée doit être interprêtée à la lumière du dénouement providentiel. L'ange Jesrad lui explique qu'il existe une logique cachée des existences individuelles. Toutefois, la soumission de Zadig n'est pas totale.

On eut au seul Zadig l'obligation d'avoir détruit un jour une coutume si cruelle [le bûcher], qui durait depuis tant de siècles. (Chapitre XI)

Un héros des Lumières

Porte-parole de Voltaire, qui a mis beaucoup de lui-même dans son personnage, Zadig a foi en la raison. Il dénonce l'absurdité des particularismes, rejette la superstition et prône le déisme. Au fil du conte, son apprentissage est l'occasion d'une réflexion sur la liberté, le Mal et la Providence. Mais, surtout, son altruisme et sa générosité nous rappellent que les philosophes des Lumières fondent le bonheur sur l'humanité et la civilisation. Ainsi, Zadig secourt Missouf, sauve Almone du bûcher, réconcilie les marchands, empêche le pêcheur de se suicider et lui donne la moitié de son argent.

Zadig, le double de Voltaire

  • Ils partagent une même soif de reconnaissance: souhait de devenir le guide et le conseiller des monarques
  • Le désir de voir un jour les philosophes-rois leur est commun (Voltaire échoua à cette entreprise à la cour de Louis XV et de Frédéric II de Prusse)
  • Les errances de Zadig (Chapitres IX-XVI) font écho aux multiples exils de Voltaire
  • Voltaire connut aussi l'embastillement pour outrage au Régent cf. ses écrits satiriques s'en prennent à la vie intime de Philippe d'Orléans
  • Les déceptions amoureuses de Zadig rappellent celles de Voltaire, trompé par Mme du Châtelet
  • Zadig est le porte-parole de Voltaire:
    • Lutte contre les superstitions: griffon (Chapitre IV), basilic (Chapitre XVI)
    • Lutte contre les rites et les dogmes, facteurs de division entre les hommes et sources du fanatisme: temple de Mithra (Chapitre VII), le Bûcher du veuvage (Chapitre XI), « Le Souper » (Chapitre XII)
    • Dénonciation du charlatanisme des médecins: le grand médecin Hermès (Chapitre I), le médecin d'Ogul (Chapitre XVI)
    • Dénonciation des manoeuvres des prêtres qui maintiennent les peuples dans l'ignorance pour mieux en tirer profit: l'archimage Yébor, « le plus sot des Chaldéens, et partant le plus fanatique » (Chapitre IV), les prêtres des Etoiles qui veulent faire brûler Zadig pour avoir aboli la tradition du bûcher (Chapitre XIII)
    • Dénonciation de l'injustice qui sévit à tous les niveaux: « Le Chien et le Cheval » (Chapitre III), l'histoire du poème rompu (Chapitre IV), la jalousie du roi (Chapitre VIII), la justice fait que le Pêcheur tombe encore plus bas, il est exploité par ceux qui voient qu'il est contraint de vendre sa maison (Chapitre XV), ...
    • Défense du déisme voltairien: « Le Souper » (Chapitre XII)
    • Présentation de l'idéal politique d'un gouvernement éclairé et dégagé de l'emprise religieuse: « Les Généreux » (Chapitre IV), « Le Ministre » (Chapitre VI), « Les Enigmes » (Chapitre XIX)

Derrière la marionnette du conte s'exprime la voix des Lumières. Zadig suscite la réflexion du lecteur. On suit son regard et on partage ses questions: la perception du monde de Zadig interroge la nôtre, ses incertitudes sur la condition humaine sont aussi les nôtres. Sommes nous entièrement libres? Sommes-nous prisonniers d'une destinée cruelle? Pourquoi le mal existe-t-il?
Il faut finalement accepter de cheminer avec ce héros oriental. La stylisation du personnage, son absence relative d'intériorité mettent finalement mieux en valeur les interrogations dont il est le support.

Le héros à l'épreuve de la relativité

À la fin du chapitre VIII, Zadig quitte le monde connu de Babylone et éprouve la diversité en se confrontant à de nouvelles mœurs et institutions. L'exil vers l'Égypte, étape essentielle de l'apprentissage du héros, fait découvrir la diversité des coutumes, mais surtout des religions. Or, on sait que toutes les religions se considèrent au-dessus des autres, qu'elles n'ont pas l'habitude de se tolérer, car cela nierait le principe de vérité universelle, dont elles se réclament. L'expérience de la diversité débouche sur un constat de la relativité des cultures (véhiculées par les récits de voyage et les utopies philosophiques) et des contradictions des dogmes entre eux. Elle redouble le passage de Zadig à la condition d'esclave, lequel lui donne un autre point de vue sur la société. Le héros n'est plus en mesure de juger avec ce qu'on lui a appris et, dès lors, s'appuie sur le bon sens, la raison naturelle.

Le héros aux prises avec l'énigme du mal

Les chapitres XIV à XVI prolongent et accentuent la réflexion sur le problème du mal. Qui est responsable des malheurs humains? Zadig se trouve en effet confronté à des récits qui semblent violer les lois logiques de la morale qui voudraient qu'un vertueux soit heureux (le pêcheur, Astarté), tandis qu'un voleur immoral ne le soit pas. Or, c'est bien le contraire qui se produit. Dieu serait-il donc injuste? L'univers ne serait-il qu'un chaos où le hasard provoque les événements? Est-ce que l'existence du mal doit faire conclure qu'il n'y a pas de Providence? Même si l'on constate dans ces trois récits que les passions humaines (cupidité, jalousie, envie, haine) causent les infortunes des personnages, la question demeure tout entière, car la seule responsabilité humaine ne saurait expliquer les aventures de Zadig. Ainsi, le conte de Voltaire hésite entre providentialisme (c'est Dieu qui décide des événements) et le hasard (cause fortuite). En outre, si l'on reconnaît l'existence de la Providence, pourquoi la volonté de Dieu autorise-t-elle le mal à s'accomplir?

(cf. voir Zadig et la question de la Providence)
(cf. voir chapitre XIV ; chapitre XV ; chapitre XVI)

Une alternance structurelle entre Bien et Mal, grâce et disgrâce: la figure du destin

Le point de départ est donc un lieu duquel le bonheur initial disparaît. Le héros perd sa naïveté, la certitude d'une adéquation entre idéal et réalité, où la Providence semble s'exercer avec justice. L'itinéraire géographique évolue parallèlement à l'apprentissage moral, lequel repose sur une suite de démystifications. On apprend que l'apparence est trompeuse. Le bonheur inital cède vite la place aux péripéties. L'expérience de l'inconstance féminine, l'éducation sentimentale déceptive consacrent ses premières désillusions: le sexe faible porte bien son nom, Zadig l'apprend à ses dépens. Il prend alors conscience de la difficulté d'être heureux. Une seconde séquence, celle de son ministère, période de bonheur fragile, où son mérite et sa vertu semblent être reconnus, pendant laquelle il tombe amoureux de la femme du roi, Astarté, débouche sur le malheur. Cette nouvelle illusion, travaillée par le doute et l'angoisse, provoque le tournant marquant du conte: Zadig, condamné, s'enfuit de Babylone.
Dès lors, on aura une alternance entre moments de grâce, d'ascension sociale, et moment de « chute », où Zadig se sentira frappé par une malheureuse destinée. En effet, après la grâce du ministère, il fait l'expérience de la tyrannie du monarque dominé par ses passions, qui le condamne alors même qu'il fut son favori. L'alternance illustre le fait qu'on n'est jamais à l'abri du malheur. Du chapitre IX au chapitre XVIII, l'itinéraire de Zadig est un voyage en terres égyptiennes pendant lequel il expérimente la condition d'esclave. Puis il rentre en grâce, distingué par son bon sens et sa sagesse, récompensé du mérite de son intelligence. L'esclavage suivi d'une brève ascension dont l'issue apporte une énième condamnation cristallise encore une fois le questionnement sur la Providence: ne sommes-nous pas finalement soumis à un hasard absurde qui déstabiliserait la pensée morale? En effet, quel intérêt d'être vertueux est toujours le perdant de l'affaire? Ce moment malchanceux de l'itinéraire remet en question certitudes et repères puisqu'il se passe en terre étrangère, où Zadig fait l'expérience de la relativité, luttant contre les préjugés et les dogmes fanatiques. Ses retrouvailles avec Astarté au chapitre XVI puis son échec au combat au chapitre XVII reproduisent le schéma ascension / disgrâce.

(cf. voir analyse par chapitres - chapitres IX à XVIII)

La rencontre avec l'ermite et la résolution des énigmes: la maturité du héros

Ces deux épisodes (chapitres XVIII et XIX) amènent le conte vers sa conclusion: Zadig rencontre l'ermite, il a progressé jusqu'au solitaire, celui qui vit hors de la société et regarde les hommes avec distance et sagesse. C'est cette rencontre qui lui permet de retourner vers Babylone pour reprendre en main son destin. On peut donc dire que la structure de Zadig, en sinusoïde, alternant des moments de bonheur et de malheur, n'en demeure pas moins cyclique, puisqu'elle se clôt sur le retour du héros dans sa terre natale.
Au chapitre XVIII, le discours de l'ange Jesrad fait refuser l'idée athée du hasard absolu et reconnaître que la Providence existe, même si la finitude de l'entendement humain ne peut pas toujours connaître la finalité de ses vues. Il ne faut pas se livrer au désespoir, pas plus qu'à l'idéalisme: la sagesse est de regarder le monde tel qu'il est, en reconnaissant l'existence d'une force supérieure, d'un grand horloger, qui a créé un ordre que nous ne pouvons pas apercevoir. C'est la position déiste de Voltaire qui s'exprime dans ce chapitre. L'ange n'apporte qu'une réponse incomplète, mais la leçon de Zadig est d'apprendre à se contenter de cette incomplétude comme Candide apprend à cultiver son jardin, à ne plus se poser des questions auxquelles il ne peut pas répondre. De retour chez lui, Zadig fait montre de son apprentissage en résolvant les énigmes: il rejoint le mythe d'Œdipe, mais c'est pour devenir un roi éclairé, époux de la femme qu'il aime, Astarté.

(cf. voir chapitre XVIII et chapitre XIX)
(cf. voir Zadig et la question de la Providence)

Zadig, le héros décalé

Zadig est le héros du conte, et pourtant nous n'accédons pas à son intériorité, chose qui répugne à Voltaire, si l'on observe son œuvre, qui privilégie la distance contre l'identification autobiographique ou romanesque. Personnage schématique, il sert la démonstration, il met en œuvre le mécanisme littéraire de l'apprentissage, du naïf perdant sa naïveté au contact de l'expérience. Il s'apparente à l'œil neuf, ce héros décalé qui décentre les certitudes et provoque le lecteur.
Zadig, naturellement vertueux, cherchant à réussir par le mérite et la probité, se croit promis à un bonheur simple et logique, puisqu'il serait la récompense de sa vertu. Cependant, toutes ses qualités le conduisent de déception en déception. Son expérience va se résumer en une série de déboires absurdes et de réussites imprévues. Elle consacre la bizarrerie des circonstances: le héros échoue dans ses projets volontaires. Il est abandonné par les femmes aux chapitres I et II, perd la confiance du roi et la position de favori, expérimente l'esclavage et les persécutions religieuses aux chapitres X, XI, IX et XIII, et se voit victime d'envie et de trahisons sordides aux chapitres IV, VIII et XVII. Au rebours de ces malchances, il réussit quand le hasard s'en mêle. En effet, c'est par accident qu'il devient favori du roi au chapitre IV, ministre aux chapitres V à VII, courageux sauvateur au chapitre IX, puis retrouve Astarté sans l'avoir cherchée au chapitre XVI.
Il n'y a donc pas de logique à son action: le personnage est une marionnette que l'on promène sur l'échelle de la chance et du malheur. L'inadéquation de sa volonté et de ses aventures est la matière première de la réflexion voltairienne sur la liberté, le mal et la Providence. Chez Voltaire, le héros est ses aventures, seules les actions vécues peuvent signifier, l'intériorité s'absente, les spéculations n'ont pas leur place, tout est dédié aux aventures se confrontant à la destinée.
Voilà pourquoi Zadig parle souvent par questions: il s'interroge pour nous interroger. Il demeure le support d'une réflexion sur les rapports entre destin et libre arbitre. Soit l'opposition suivante: ou l'homme est libre de construire sa destinée - auquel cas pourquoi le bonheur échappe-t-il toutefois à Zadig? -, ou l'homme est le jouet d'un ordre prédéterminé: c'est la position leibnizienne de la négation du libre arbitre, position qui s'oppose à la progression du conte vers un bonheur sans idéalisme. Le libre arbitre est incarné par les décisions de Zadig, et la destinée par ses aventures. C'est la résolution du chapitre XVIII qui permet de concilier les deux positions: Zadig figure alors la rencontre entre l'exercice de la Providence et l'acceptation des événements qui nous échappent.
In fine, le personnage porte toute la charpente réflexive du conte en éprouvant les contradictions conceptuelles et logiques de la destinée humaine.


Les personnages de rencontre

Certains personnages épisodiques servent l'apprenstissage et l'initiation de Zadig. Leur fonction se résume à l'incarnation des épreuves que connaît Zadig. Encore une fois, ce sont de pures silhouettes, les chantres d'une passion, d'un point de vue, d'une morale. Sémire et Azora constituent les symboles de l'inconstance féminine. Moabdar, le monarque tyrannique, est le support d'une satire de l'injustice et de la violence du pouvoir. Le voleur incarne l'image de l'immoralité. Le pêcheur est un quidam, symbole du malheureux frappé par le destin. L'Envieux, dont la désignation implique la référence à un caractère et non à un individu, se résume lui aussi à un pur schéma et incarne un opposant au bonheur du héros. Même Astarté, la femme aimée, point de mire de la quête, n'est qu'une absence, comme disparaît dans ce conte la figure du compagnon de route.
Les personnages sont des ombres éprouvant Zadig, résumés tout entiers dans leur fonction, dans l'épisode où ils interviennent. Ils sont des allégories, comme l'ermite pourvu d'une « barbe vénérable », lieu commun de la sagesse. Encore une fois, il s'agit d'exercer le jugement du lecteur sur la question de la destinée et les difficultés de la Providence, et non de l'attendrir sur des destins individuels. Le conte philosophique confirme sa poétique dans le traitement des personnages.

Ceux que Zadig transforme

  • Réduit en esclave en Égypte, Zadig a pour maître le marchand Sétoc qui, séduit par sa sagacité, change d'attitude à son égard et en fait son ami. À son contact, Sétoc épanouit ses qualités naturelles ; il rejette la superstition et les coutumes barbares de son peuple. Zadig, être de lumière, révèle la vérité.

La sagesse de son esclave entra dans son âme; [Sétoc] ne prodigua plus son encens aux créatures, et adora l'Être éternel qui les a faites. (Chapitre XI)

  • Grâce à Sétoc, Zadig rencontre, à Bassora, des marchands étrangers qu'il parvient à réconcilier malgré leurs désaccords religieux. (Chapitre XII)
  • Au seigneur Ogul, hédoniste convaincu, Zadig enseigne, avec de bon sens, l'exercice physique et l'hygiène de vie. (Chapitre XVI)

Ceux qui transforment Zadig

  • À l'instar de Sétoc, le brigand Arbogad devient l'ami de Zadig. Ce chef des voleurs est un personnage contrasté, généreux et ambitieux, jovial et cynique. Il conçoit de l'estime pour Zadig et lui raconte son parcours. Devant l'insolent bonheur du brigand et apprenant, dans les même temps, la chute du roi Moabdar à Babylone, Zadig, déstabiliés, poursuit son interrogation sur la Providence.

Ô fortune! ô destinée! un voleur est heureux, et ce que la nature a fait de plus aimable a péri peut-être d'une manière affreuse, ou vit dans un état pire que la mort. (Chapitre XIV)

  • À l'inverse du brigand heureux, l'innocent pêcheur qui n'a pas de nom (on peut supposer un jeu de mots sur l'homophonie pêcheur/pécheur) est persécuté par le destin. Zadig, homme providentiel, sauve du suicide un compagnon d'infortune, une sorte de double brulesque qui le bouleverse et lui apprend que l'injustice du sort est sans limites. (Chapitre XV)
  • L'ermite avec lequel Zadig fait route vers Babylone est, en réalité, l'ange Jesrad, qui, reprenant les principes du philosophe Leibniz, lui révèle les voies cachées de la Providence. Et, selon lui, Zadig est « celui de tous les hommes qui méritait le plus d'être éclairé ».

L'ermite soutint toujours qu'on ne connaissait pas les voies de la Providence, et que les hommes avaient tort de juger d'un tout dont ils n'apercevaient que la plus petite partie. (Chapitre XVIII)

Les puissants

Les puissants, en plus de leur fonction dramatique dans le conte, sont le support de la pensée critique de Voltaire.

Les opposants

  • Les juges:
    Le grand desterham incarne l'arbitraire de la justice, expéditive et cruelle, qui révolte Voltaire. (Chapitre III)

  • Les religieux:
    Les différentes figures de prêtres rencontrées par Zadig sont marquées par le fanatisme. Ainsi l'archimage Yébor est-il prêt à faire empaler ce dernier pour une absurde question de formalisme religieux (Chapitre IV). Par un portrait à charge, Voltaire nous le présente fanatique, sot et corrompu. Les prêtres des étoiles décident aussi, en représailles, de condamner Zadig « à être brûlé à petit feu » (comme, plus tard, Candide), car, en abolissant la coutume du bûcher, il les prive de richesses. (Chapitre XIII)

Almon montra aux juges à quel point les prêtres avaient vendu la grâce de Zadig. (Chapitre XIII)

  • Les courtisans:
    Zadig est encore victime de la jalousie des courtisans, qui gravitent autour du pouvoir. C'est Orcan, « neveu d'un ministre », qui, le premier, ruine ses projets amoureux (Chapitre I). Le même Orcan séduit, d'ailleurs, la femme du pêcheur, car rien ne lui résiste (Chapitre XV).
    Arimaze, « personnage dont la méchante âme était peinte sur sa grossière physionomie », est le plus dangereux des courtisans. Son nom, forgé à partir de celui d'Ahriman, le « principe du Mal » dans la philosophie de Zoroastre, de même que son surnom « l'Envieux » en font une figure allégorique du Mal (Chapitre IV). Arimaze, secondé par sa femme, obtient la chute du ministre (Chapitre VIII).
    « Mauvais », comme le suggère le suffixe de son nom, le riche seigneur Itobad, enfin, incarne la lâcheté et la traîtrise, puisqu'il subtilise l'armure de Zadig pour triompher. Fort heureusement, il sera finalement ridiculisé et vaincu par Zadig dans un combat singulier (Chapitre XIX).

Cet homme, qu'on appelait l'Envieux dans Babylone, vulut perdre Zadig, parce qu'on l'appelait l'Heureux. (Chapitre IV)

  • Le roi:
    Le personnage du roi Moabdar est le plus ambigu. Bienveillant dans un premier temps, puisqu'il favorise Zadig (Chapitres IV à V), il représente la figure du monarque éclairé. Il prend conseil auprès de celui qu'il a nommé Premier ministre et rend hommage à sa sagesse. Mais, aveuglé par la jalousie à partir du chapitre VIII, il fait preuve du despotisme, se laisse influencer par son entourage et condamne Zadig. Moabdar, finalement vaincu pas le prince d'Hyrcanie, est le double inversé du marchand Sétoc.

L'adjuvant Cador

En contrepoint de ces opposants ou de cet inconstant, Cador (« le tout-puissant » en arabe) est le confident de Zadig et le seul ami fidèle (Chapitre II). Il le sauve de Yébor (Chapitre IV) et de Moabdar (Chapitre VIII), et lui permet d'être reconnu comme roi. Cador, qui a toujours veillé sur Astarté, est finalement récompensé de sa constance, « placé et chéri selon ses services ». (Chapitre XIX)

Un ami vaut mieux que cent prêtres. (Chapitre IV)

Les femmes

Les femmes sont réparties en deux emplois typiquement romanesques: la capricieuse et la femme idéale

Les capricieuses

Zadig est la victime de belles femmes, volages et inconstantes, telles Sémire (Chapitre I) ou Azora (Chapitre II). Missouf est le stéréotype de la femme fatale exerçant un pouvoir tyrannique (Chapitres IX et XIII). Même la charmante Almona, qui se montre aimable et reconnaissante envers de Zadig, n'est pas sans légèreté. (Chapitre XI)

Une figure idéalisée

La reine de Babylone, Astarté, dont le nom évoque la lumière des autres, guide, au contraire, Zadig dans sa quête. L'image omniprésente de la reine est un gage de stabilité, une force intérieure qui lui permet de supporter les aléas du destin. Astarté subit, comme son bien-aimé, une succession d'épreuves avant de connaître l'amour et la gloire (Chapitre XIX). Idéalisée au point de sembler un mirage de vertu et de fidélité, elle renforce, par contraste, les défauts traditionnellement associés à la femme dans le conte.

Les femmes selon les chapitres

Chapitre 1

  • L'inconstance des femmes cf. Sémire, une fille élevée à la Cour, qui après trois jours déclare son aversion pour les borgnes et épouse Orcan, l'ennemi de Zadig
  • Cf. aussi les caprices des femmes et surtout des courtisanes
  • Azora, une citoyenne: le bonheur du mariage dure un mois ; puis, elle développe un penchant pour la légèreté et les jeunes gens bien faits

Chapitre 2

  • Azora: infidélité conjugale, la superficialité, l'apparence des vertus, l'hypocrisie sociale (cf. la jeune veuve Cosrou), la rapidité du changement de l'amour, la superstition (veut soigner un mal de rate avec le nez d'un mort)

Chapitre 3

  • La désillusion de Zadig quant à l'amour et au mariage

Chapitre 6 / 7

  • Immoralité des femmes à la cour:
    • Celle qui, recevant quelques mois des instructions de deux prêtres, se retrouve enceinte
    • Toutes les femmes lorgnent Zadig et essaient de le séduire cf. l'Envieuse qui va causer la perte de Zadig parce qu'il ne cède pas
    • Une seule fois, Zadig cède et a une relation avec une femme de chambre de la reine
    • La vanité des femmes: cette dernière prend pour elle l'exclamation de Zadig « Ma reine ! » et raconte tout à l'Envieuse. Incarnation de l'indiscrétion des femmes, le bavardage.

Chapitre 9

  • Missouf, la belle Egyptienne, ressemblant physiquement à Astarté, mais, pour le reste, l'antithèse d'Astarté: changeante, frivole, capricieuse, dangereuse quand elle est au pouvoir
  • Mariée au roi Moabdar = modèle négatif de la femme
  • Expression d'une certaine misogynie de Voltaire: image négative
  • Cf. un des éléments dans l'apprentissage de Zadig et dans sa quête du bonheur

Chapitre 13

  • Almona, figure positive: belle, intelligente, rusée, prudente et reconnaissante ; pour sauver Zadig, elle use des atouts féminins ; Sétoc l'épouse pour ses qualités ; couple positif
  • Astarté: belle, intelligente et sincèrement amoureuse de Zadig ; mais imprudente: se trahit en parlant trop de Zadig au roi ; reste attachée à son statut de reine, même quand elle est vendue: fière ; elle sauve (même deux fois!) Zadig de la mort et pendant toutes ses pérégrinations, elle reste fidèle à son amour: la reine amoureuse, au destin similaire à celui de Zadig ; elle formera avec le philosophe éclairé le couple royal idéal et lui apportera enfin le bonheur

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