La condition humaine - André Malraux

Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire? Frapperait-il au travers? L'angoisse lui tordait l'estomac; il connaissait sa propre fermeté, mais n'était capable en cet instant que d'y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu'une ombre, et d'où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même - de la chair d'homme.

La condition humaine est un roman historico-politique écrit par André Malraux et publié en 1933. Le roman, qui appartient à l'existentialisme, a reçu le prix Goncourt juste quelques mois plus tard. Même si Malraux présente au lecteur le thème de la révolution communiste en Chine, plus particulièrement à Shanghaï, il s'agit cependant plutôt d'un roman métaphysique qu'historique. Dans La condition humaine les événements sont moins importants que les interrogations humaines: ce qui nous reste en mémoire sont les personnes et non pas les actions. Les différents personnages, lesquels le lecteur vit à travers les actions, incarnent des valeurs, des interrogations et surtout une question universelle: comment donner un sens à la vie?


Thème de l'amour

Analysons d'abord deux couples qui s'opposent totalement: Ferral et Valérie qui incarnent le couple de colons (dominants et dominées) et Kyo et May qui incarnent un couple de révolutionnaires (liberté de l'être). On remarque donc aisément qu'il ne s'agit pas du même type de relation, cependandant il y a un point commun, à savoir que la politique intervient dans la vie des deux couples.
De plus, il faut remarquer qu'André Malraux représente des individus incarnants différents types de couples.

Amour et domination: Ferral et Valérie

  • Le rapport entre Ferral et Valérie = l'oppression de la femme par l'homme
  • Scène avec la lampe = idée du viol moral, Ferral ne respecte pas la demande de Valérie
  • Ferral est incapable de comprendre que Valérie souhaite plus d'amour de lui (p.117)
    • Valérie attend l'amour, mais pas d'entente du côté de Ferral
    • Érotisme incarné par Ferral (mâle triomphant) s'oppose à la tendresse / au vrai amour
  • Ferral n'a aucun sens moral
  • Dissymétrie des rapports des forces soulignée par le choix des noms: patronyme (Ferral) VS. prénom (Valérie)
  • La femme n'arrive pas à se mettre au même niveau que l'homme
  • Deux représentants de l'Occident, mais à l'intérieur du système capitaliste, il y a des rapports de force

Amour intellectuel et ravagé: Kyo et May

  • Union libre: vivent en couple, amour véritable, mais droit de coucher avec d'autres
    • Idée: on ne peut pas aimer quelqu'un sans lui donner toutes les libertés de l'amour
  • Sens commun de la vie = la révolution

    Elle était médecin de l'un des hôptaux chinois, mais elle venait de la section des femmes révolutionnaires dont elle dirigeait l'hôpital clandestin. (p.48)

  • Sens commun de la mort = est-ce que la mort a un sens si on ne meurt pas avec l'amour, ensemble?*

    Il était sûr que si elle mourait, il ne servirait plus sa cause avec espoir, mais avec désespoir, comme un mort lui-même. (p.51)

  • Amour profond, amour véritable

    Il comprenait maintenant qu'accepter d'entraîner l'être qu'on aime dans la mort est peut-être la forme totale de l'amour, celle qui ne peut pas être dépassée. (pensée de Kyo)

  • Kyo comprend grâce à May:
    • l'amour ≠ jalousie
    • l'amour ≠ possession
    • l'amour = ouverture à l'autre

Amour comme tendresse et sérénité: Gisors et sa Japonaise

  • Cet amour s'oppose à l'amour de Kyo et May
  • La Japonaise est décrite comme étant très féminine
  • Définition de l'amour selon Gisors:

    Lui (Gisors) avait aimé une Japonaise parce qu'il aimait la tendresse, parce que l'amour à ses yeux n'était pas un conflit, mais la contemplation confiante d'un visage aimé, l'incarnation de la plus sereine musique,- une poignante douceur (p.333)

Amour comme devoir: Hemmelrich et sa femme

  • Hemmelrich veut s'engager dans la révolution, mais ne peut pas: femme souffrante, fils très malade
  • Devoir du mari et du père de famille
  • Traumatisé de la grenade: malade de hallutinations
  • Liberté après: peut s'engager dans la révolution

Les femmes, leur destin et la condition féminine

Dans La condition humaine, on nous expose le destin des femmes chinoises. Ces dernières sont données de la famille contre des hommes. Elles ne sont donc pas libre de choisir et ne peuvent pas s'échapper (jeune femme qui voulait se suicider). Ainsi on peut conclure que les femmes sont traitées comme des marchandises livrées à des “brutes respectables“.
De plus, les femmes sont peu nombreuses dans le roman et elles présentent un caractère beaucoup plus masculin que féminin.

  • May:
    • Femme engagée pour la libération des autres femmes
    • Allemande, études universitaires, femme érudite
    • Femme forte: sait s'immobiliser pour ses idées, s'engage
    • Femme libre: union libre avec Kyo, elle est indépendante financièrement parlante

    Ai-je vécu comme une femme qu'on protège? (p.204)

    • Assez virile / masculine, mais pourtant attractive
    • Elle incarne la liberté et une certaine forme d'amour
  • Valéry:
    • Femme qui est dominée, qui est soumise à un homme
    • Scène de la lampe de chevet
  • La condition féminine:
    • Normalement pas d'écucation
    • Inégalités homme-femme
    • Les femmes se marient très tôt, l'homme étant choisi de la famille
    • Les femmes sont traitées comme des objets dans la relation
    • Mais: émancipation de la femme (exemple: May)

Thème de la condition humaine

En nous appuyant sur les personnages mis en scène et en nous rapportant à des scènes précises, expliquons la réflexion sur la condition qu'André Malraux expose dans son roman éponyme.
Le roman nous présente de nombreuses réflexions sur l'existence et la condition. On y retrouve des interrogations conçernant le sens de la vie, la souffrance, la mort, les actions qu'il faut mener pour se définir etc.

Le sens de la vie

  • Clappique:
    • Il est quelqu'un qui vit le moment
    • Aime bien se créer des univers parallèles: fuite de la vie en se créant d'autres identités
    • Il se donne un sens à la vie par la mythomanie
  • Tchen:
    • Son sens de la vie est le terrorisme
    • Attentat-suicide = dernière action avant la grande liberté, c'est une action qui le définit

    Le terrorisme devenait pour lui une fascination.
    Tu veux faire du terrorisme une espèce de religion? (...)
    Pas une religion. Le sens de la vie. La possession complète de soi-même.
    (p.185)

  • Ferral:
    • Désir et abus de puissance
    • Domination de l'autre (en affaires, en politique, en amour) p.ex. viol moral (lampe de chevet)

    Il n'y a rien de plus prenant chez l'homme que l'union de la force et de la faiblesse

  • Gisors:
    • Les hommes doivent trouver une transcendance, sinon la vie est insupportable dans un monde régi par la souffrance, la douleur, l'humiliation, la mort
    • Recherche d'une transcendance afin de pouvoir donner un sens à la vie

    Ne trouvez-vous pas d'une stupidité caractéristique de l'espèce humaine qu'un homme qui n'a qu'une vie puisse la perdre pour une idée?
    Il est très rare qu'un homme puisse supporter, comment dirais-je? sa condition humaine.
    (p.228)

  • May:
    • Sens de la vie = combat révolutionnaire, mais aussi la relation avec Kyo
    • Elle essaye de sauver les femmes, travaille dans un hôpital clandestin
  • Kyo:
    • sens de la vie = défense de la dignité, la révolution (en commun avec May)
    • Il aime sa femme, son père, mais aussi le peuple pour lequel il est prêt à mourir

    Sa vie avait un sens, et il le connaissait: donner à chacun de ces hommes que la famine, en ce moment même, faisait mourir comme une peste lente, la possession de sa propre dignité. (p.68)

La mort

Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie.

  • La mort nous attent toujours à la fin de notre chemin, pour cela, il faut profiter du temps qu'on nous donne sur Terre, on n'a qu'une seule vie
  • Préau de l'école = métaphore: image dramatique de la condition humaine, notre vie peut être assimilée à une salle d'attente pour la mort

Il faut neuf mois pour faire un homme, et un seul jour pour le tuer (p.337)

  • Interrogations sur la guerre: poruquoi faut-il tuer? Pourquoi faut-il intervenir dans le travail de la nature? Pourquoi est-il si facile de tuer?

La souffrance

Monde régit par:

  • L'humiliation:
    - Ferral qui humilie les femmes, surtout Valérie, est humilié à son tour
    - König, qui a été humilié par les communistes, essaye de surmonter la douleur en humiliant les autres
    - Katow est humilié par les bolchéviks pendant la Révolution russe, mais montre qu'on peut s'en sortir sans être captivé dans le jeu de l'humiliation
  • La souffrance physique et morale:
    • Hemmelrich qui souffre moralement de ne pas pouvoir participer à la révolution

    Il y avait sa femme: rien d'autre ne lui avait été donné par la vie. (p.180)
    Pourtant, cette fois, la destinée avait mal joué: en lui arrachant tout ce qu'il possédait encore, elle le libérait. (p.254)

    • Kyo qui souffre moralement de la jalousie

    Tout homme ressemble à sa douleur.

    • Gisors et May qui souffrent moralement après la mort de Kyo, cependant il s'agit de souffrances différentes
  • La douleur:
    - Barrières entre les personnes ce qui conduit à de nouvelles souffrances
    - La douleur est ce qui est commun à tous les hommes

Thème de la séparation

La séparation est un des grands thèmes de La condition humaine.

La séparation au sein du couple:

  • Couple des colons (Ferral et Valérie):
    - Les deux n'ont pas la même vue des choses: érotisme versus recherche de l'amour
    - Séparation: viol moral (épisode de la lampe de chevet), revanche de Valérie, revanche de Ferral (une chambre remplie d'oiseaux)
  • Couple de révolutionnaires / Couple a égalité (Kyo et May):
    Tout porte à faire croire que le couple est condamné à l'échec quand on voit Kyo qui souffre après avoir appris que May a couché avec Lenglen, mais Kyo revient sur sa décision de partir sans May à la réunion et finit par surmonter sa jalousie, car il a compris qu'aimer quelqu'un, c'est s'ouvrir à l'autre et non pas le posséder. Même quand ils se sentent séparés, ils sont unis par un lien profond et ce lien pousse May à s'engager après la mort de Kyo et de continuer son engagement pour la cause communsite. Il est donc possible que le couple triomphe de la séparation.

Tout homme ressemble à sa douleur

... qui est pourtant le propre de l'homme.
En effet, tout homme ressemble à sa douleur et il ne faut pas laisser prendre le dessus à cette douleur qui bien souvent reste une douleur que l'on cache aux autres. Or cette douleur que chacun porte en lui dresse un mur entre les personnes et est à l'origine de nouvelles souffrances.

Exemples:

  • König qui a été humilié par les bolchéviks et qui ne peut vivre qu'en faisant souffrir d'autres
  • Katow qui, au contraire, réussit à briser ce cercle vicieux: il accepte qu'il y ait des choses impossibles à expliciter, mais il ne se leurre pas lui-même et sa communion avec Hemmelrich, un autre naufragé de la vie, se situe au-delà des mots

La souffrance est inhérente à la condition humaine, mais elle peut être dépassée. Ainsi, la séparation d'avec les autres peut être dépassée.

La mort comme séparation ultime

Mourir veut dire quitter le monde des vivants. Ainsi, la mort constitue une séparation définitive.
Tchen est déjà séparé du groupe des communistes depuis le meurtre commis contre le trafiquant d'armes. La mort est le moment de solitude, cependant il n'y a pas de délivrance.
Kyo, qui pense que la prise de cyanure est un geste ultime de liberté, connaît aussi une atroce solitude au moment de mourir.
Gisors et May souffrent après sa mort, mais tandis que May reste du côté de la vie et continue leur combat révolutionnaire pour maintenir un lien au-delà de la séparation, Gisors ne peut que fuir le monde et chercher l'oubli dans l'opium.
L'exemple de Katow montre que la mort n'est pas nécessairement un moment de solitude: il a offert son cyanure à deux autres communistes et ce don de plus que sa vie le rapproche des autres. Alors qu'il marche à la mort, il se sent non pas séparé des autres, mais porté par les autres qui attendent dans le préau. La générosité et la fraternité mettent fin au sentiment de séparation et de solitude.


Un roman historique

Un roman qui pourrait passer pour un roman historique

  • Contexte historique: insurrection en 1927 en Chine
  • Panoplie d'épisodes de cette révolution qui sont présentées chronologiquement et avec un soucis de précision qui font penser à un reportage
  • On nous raconte cette révolte, l'ordre de rendre les armes donné aux communistes, l'arrestation et l'exécution des militants communistes
  • Autant d'épisodes historiques qui sont rapportés avec un souci de réalisme et de vraisemblance
  • Personnages fictifs et personnages historiques, notamment CKS

Histoire comme toile de fond

  • Le lecteur découvre ces épisodes à travers le prisme des personnages fictifs
  • Problèmes de vraisemblance: pas de couvre-feu, mais personnages qui se promènent la nuit alors que le climat politique est très tendu. L'insurrection s'organise presque seule
  • Idées ont plus d'importance que les faits historiques qui restent parfois vagues et sont difficilement compréhensible parce qu'ils sont rapportés à travers des consciences

Un roman métaphysique

  • Réflexions menées sur la condition de l'Homme: question essentielle est celle du sens de la vie, de la place de l'Homme dans le monde!
  • Personnages-types qui incarnent les différentes positions que l'on peut adapter pour essayer de donner un sens à sa vie
  • Contexte historique choisi, non pas pour faire oeuvre d'historien, mais pour donner des coulisses à ces interrogations métaphysiques et essenielles: une révolution est seulement sensée si elle permet aux hommes de trouver un sens à leur vie