De l'invasion des rats à la déclaration de l'état de siège

Le 16 avril, le docteur Bernard Rieux bute sur un rat mort quand il sort de son cabinet et en avertit M. Michel, le concierge de l'immeuble. Ce dernier parle d'une farce, mais très vite, le concierge se rendra compte qu'il ne s'agit pas d'un tour joué par des voyous. Progressivement, au centre-ville, tout comme dans les quartiers extérieurs, on compte de plus en plus de rats morts et tout le monde en parle. Pourtant, de façon générale, les Oranais, qui se posent certes des questions, ne sont point encore alarmés. De ce point de vue, leur réaction est à rapprocher de celle de Rieux, qui répond en ces termes à son épouse l'interrogeant à propos de cette histoire des rats: « Je ne sais pas. C'est bizarre, mais cela passera. » (pp.18-19) Ce sont-là exactement les réactions que l'on peut observer au début de l'Occupation.

Après la prolifération des rats, les Oranais commencent à s'inquiéter. Comme la presse se mêle de l'affaire, la municipalité doit réagir. Rieux intervient d'ailleurs auprès de Mercier, directeur du service communal de dératisation. On organise finalement un ramassage quotidien des rats morts à l'aube, mais, en journée, les promenades et places publiques sont de nouveaux souillées. Ainsi, le 28 avril, alors que le nombre de rats morts monte à 8000, « l'anxiété était à son comble dans la ville ». (p.25) Les habitants d'Oran continueront pourtant à vivre leur petite vie dominée et rythmée par les habitudes. Et, alors même que l'invasion des rats s'est stabilisée et que les habitants espèrent qu'il s'agit là d'une véritable accalmie, M. Michel meurt le 30 avril des suites d'une fièvre fulgurante et mystérieuse. Etant donné que M. Michel ne reste pas la seule victime, les Oranais ne pourront pas continuer comme si de rien n'était.

Dans ce contexte d'épidémie, les différents personnages sont démasqués. En effet, l'épidémie et la maladie transforment l'homme et modifient ses comportements. En parlant de la peste, Camus peut exposer une réflexion sur la condition humaine.

D'un côté nous avons Grand, qui, avec un zèle sans pareil, fait les additions des décès pour en informer Rieux et attend le soir pour s'adonner à la recherche du mot juste pour la rédaction de son roman. Ce fonctionnaire modeste qui cultive d'honorables manies pousse Rieux à penser que le mal ne peut pas vaincre à Oran: « il n'imaginait pas la place de ces manies au milieu de la peste et il jugeait donc que, pratiquement, la peste était sans avenir parmi nos concitoyens. » (p.55) Cet homme contraste avec Cottard qui, lui, craint la police pour les méfaits qu'il a commis dans le passé. Il incarne le profiteur de la situation et est à rapprocher de ceux qui, pendant la guerre, ont souhaité que l'Occupation se prolonge pour leur seul propre intérêt. Dans un sens figuré, il respire mieux quand la peste s'installe et est ainsi à rapprocher du vieil Espagnol asthmatique.

Dans le camp même des médecins, il y a ceux qui incarnent la lucidité, la lutte et la révolte et ceux qui incarnent pour le mieux la retenue et l'optimisme voire la naïveté, pour le pire la couardise et le laisser-aller. D'un côté, nous avons Castel, qui est celui qui prononce le premier le mot de «peste», et Rieux, qui, même s'il a du mal à accepter la réalité du fléau, fait toutes les démarches nécessaires pour faire établir des mesures pour éviter la propagation de l'épidémie. En effet, Rieux dit: « Là était la certitude, dans le travail de tous les jours. [...] L'essentiel est de bien fair son métier. » (p.49) Rieux choisit des actes efficaces en choisissant des tâches concrètes et quotidiennes pour combattre les souffrances et la mort. Son métier se nourrit d'une morale d'action fondée sur la révolte et la lutte. Rieux et Castel s'opposent à Richard et à ses confrères qui se tiennent aux côtés de la préfecture qui adopte un comportement qu'elle estime prudent, mais qui, de fait, s'apparente à un manque de responsabilités total: « Les mesures n'étaient pas draconiennes et l'on semblait avoir beaucoup sacrifié au désir de ne pas inquiéter l'opinion publique. » (p.60) Or, le nombre de morts va toujours croissant si bien que les deux pavillons de 80 lits sont remplis en trois jours et qu'un hôpital auxiliaire est ouvert dans une école maternelle. Après que des mesures plus strictes ont après tout été prises par les autorités, l'épidémie semble reculer, mais finit par remonter en flèche: c'est alors que l'état de peste est déclaré et que la ville est fermée.

Nous voilà à la fin de la première partie de notre roman qui se fait passer pour une chronique.


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