Zadig et religion - leçon de déisme

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Lumières et religion

Le conte philosophique contre le discours religieux

Le XVIIIe siècle n'a cessé d'affranchir la morale du domaine religieux. La philosophie des Lumières s'est emparée des grandes questions métaphysiques jusque-là monopolisées par le discours religieux. Par opposition à un monde d'épreuves où le chrétien devait prouver sa foi et gagner le paradis et le bonheurs hors de ce monde, la philosophie propose une lecture immanente du problème moral, dans des formes plus souples et souvent ludiques, comme le conte. Point de philosophe qui ne s'intéresse de près ou de loin au bonheur terrestre, à celui que se doit l'homme qui veut accomplir sa nature ici-bas et non dans l'au-delà. Cette idée, qui ne paraît pas aller de soi, suppose un changement considérable des mentalités, puisqu'à l'unique finalité divine est substituée celle du bonheur.

Le héros à l'épreuve de la relativité

À la fin du chapitre VIII, Zadig quitte le monde connu de Babylone et éprouve la diversité en se confrontant à de nouvelles mœurs et institutions. L'exil vers l'Égypte, étape essentielle de l'apprentissage du héros, fait découvrir la diversité des coutumes, mais surtout des religions. Or, on sait que toutes les religions se considèrent au-dessus des autres, qu'elles n'ont pas l'habitude de se tolérer, car cela nierait le principe de vérité universelle, dont elles se réclament. L'expérience de la diversité débouche sur un constat de la relativité des cultures (véhiculées par les récits de voyage et les utopies philosophiques) et des contradictions des dogmes entre eux. Elle redouble le passage de Zadig à la condition d'esclave, lequel lui donne un autre point de vue sur la société. Le héros n'est plus en mesure de juger avec ce qu'on lui a appris et, dès lors, s'appuie sur le bon sens, la raison naturelle.

La voix de la raison contre les guerres dogmatiques

En effet, privé de tout repère familier, sorte de figure humoristique du chevalier errant, Zadig en revient instinctivement au guide universel: la raison. Comme il le dit à Sétoc au chapitre XI, « la raison est plus ancienne », c'est-à-dire plus légitime et fondamentale que n'importe quelle coutume édictée par telle culture, par essence relative et ponctuelle dans l'histoire de l'humanité. Le héros, contre les aléas du sort et les menées obscures de la destinée, prend la raison pour guide, ce qui fait de lui un sage.
Ainsi, dénonçant l'arbitrarité des dogmes et la diversité des religions, qui provoquent guerres et disputes, Voltaire n'en renonce pas pour autant au principe de raison universelle. Les hommes peuvent s'entendre, mais pour peu qu'ils jugent selon la raison. Voltaire a toujours lutté contre le fanatisme, non pas pour nier Dieu, mais pour opposer un déisme raisonnable et universel à des religions ritualistes, intolérantes, qui s'excluent les unes les autres.

Un point de vue déiste

Émule d'un Newton démontrant l'admirable harmonie des lois mathématiques qui ne sauraient être le fruit d'un hasard, Voltaire suppose une intelligence suprême, un Dieu horloger pour commander cette harmonie. Pour lui, se débarrasser de l'idée de Dieu reviendrait à rendre le monde incompréhensible. La diversité des religions n'annule pas Dieu mais le dogme, déstabilisant le pouvoir clérical et condamnant les excès, que l'Église justifie au nom de la vérité divine. Cependant, même si Dieu a pensé le monde, il n'intervient pas dans le cours des choses humaines (c'est la leçon anti-leibnizienne de Candide), et ne nous permet pas d'accéder à une vérité métaphysique, à une vision divine du cosmos.
Le déisme incarne donc une solution modérée entre christianisme et matérialisme. Voltaire n'est pas un athée, il rationalise la religion sans la détruire. Ainsi, la religion se vide de tout mystère surnaturel: elle consiste à respecter le principe divin et à pratiquer une morale raisonnable, tolérante à l'égard d'autrui. Le déisme pourrait ainsi se confondre avec un christianisme raisonnable, purgé de ses excès, excluant le péché originel qui condamne définitivement l'Homme. C'est donc adapter la religion aux principes du progrès et à la confiance en l'Homme, non plus en rapport avec les sphères célestes, mais avec la société des autres hommes.


Voltaire et l'Infâme

  • « Écrasons l'Infâme »: Voltaire signait ses lettres en abrégé: Ecr. L'inf.
  • La lutte contre cet « infâme » qu'il faut écraser a été la grande affaire de Voltaire qui y a mis toute sa pugnacité, tout son génie
  • Mais il ne faut pas oublier qu'elle est le fait aussi de l'ensemble des philosophes des Lumières, à des degrés divers
  • Cependant, qui est l' « infâme » ?
  • Voltaire répète que l'infâme est un « fantôme hideux », « un monstre abominable », « l'hydre abominable qui empeste et qui tue »
  • Si l'on cherche à préciser le contenu de cette notion un peu vague, on s'aperçoit que l'infâme, ce n'est qu'épisodiquement le janséisme ; c'est tout aussi bien le calvinisme que le catholicisme

L'infâme est donc l'intolérance, pratiquée par des Églises organisées, et inspirée par des dogmes chrétiens. En fin de compte, l'infâme, c'est le christianisme. Il faut faire à Voltaire la justice de reconnaître son audace, quelque jugement qu'on en porte: il voulut abattre l'imposant édifice, vieux de dix-huit siècles. Voltaire signait Christmoque: il ne s'agit pas seulement d'amender ou de réformer le christianisme, il s'agit d'en retrancher tout ce qu'il a de chrétien. L'opération faite, il restera une « religion pure » qui peut s'accomoder encore d'une admiration pour un Christ tout humain.

(R. Pomeau, La religion de Voltaire, Nizet, 1956 ; nouv. éd. 1969, pp.309-310)


L'œuvre dans son siècle - La satire des mœurs et des institutions

La distance impliquée par la fiction orientale permet également d'attaquer indirectement les mœurs et les institutions du siècle des Lumières. Pour preuve, citons la parodique Approbation publiée en première page de Zadig. Cette parodie moque l'institution des privilèges royaux, accordés à un ouvrage seulement s'il était jugé conforme aux bonnes mœurs et à la religion. Les ouvrages condamnés étaient brûlés, interdits ; on envoyait leurs auteurs à la Bastille, comme Voltaire en 1717, ou en exil. L'institution royale mais aussi la justice et la religion étaient aux mains de privilégiés qui ne souffraient pas les contestations. Zadig rend compte de cette opposition constante des pouvoirs, qui empêchait le bonheur des individus. Ainsi, l'on voit tour à tour Zadig en grâce, puis en disgrâce, véritable jouet des caprices du pouvoir. Le conte de Voltaire mène une réflexion sur la liberté et ses limites structurelles. Ce qui est encore critiqué, à travers la satire des institutions, c'est la concentration de tous les pouvoirs aux mains d'un seul, et l'arbitraire qui peut naître d'une telle disposition politique.

(cf. voir Comment Voltaire critique-t-il l'Eglise et ses représentants à travers Zadig? Quelles sont ces critiques?)


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