Tarrou est le deuxième narrateur du roman, car Camus a voulu rejeter l'idée d'un narrateur omniprésent (en relation avec son rejet d'un Dieu omnipotent). Or, les carnets de Tarrou se différencient des chroniques de Rieux qui retracent l'évolution de la peste. Ainsi, les deux se complètent. Tarrou s'attarde sur les détails, sur tout ce qui peut paraître étrange (p.ex. le vieux crachant sur les chats, le vieil Espagnol). De plus, Tarrou est très indulgent dans son jugement des autres. Il est d'ailleurs le seul à ne pas totalement condamner les actions de Cottard.
On peut dire que la peste représente aussi une occasion pour Tarrou. Rejetant toute action qui pourrait entraîner la mort d'un homme, il propose l'idée des formations sanitaires volontaires qui lui permettront de soigner, de soulager des gens qui souffrent et ainsi atteindre ce statut de « sainteté sans Dieu ». En effet, la question qu'il se pose est comment devenir un « saint » lorsqu'on ne croit pas en Dieu. Théoriquement, pour être « sanctifié », il faut l'approbation de l'Eglise, donc les aspirations de Tarrou semblent paradoxales, voire compromises, puisqu'il ne croit pas en Dieu.
Tarrou adhère à l'idée (que l'on peut considérer comme «chrétienne») de vouloir faire le bien ou au moins d'éviter le mal. Il rejette tout ce qui pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifie qu'on fasse mourir. Selon lui, nous sommes tous des pestiférés, nous portons tous le bacille de la peste (le mal) en nous. Il condamne surtout les juges ou les magistrats (comme son père) qui s'appliquent à envoyer des coupables à la mort en se cachant derrière le bouclier de la loi. Camus qualifie la peine de mort d'assassinat. On ne peut pas non plus justifier un meurtre par une cause aussi noble soit-elle (p.ex. les troupes révolutionnaires auxquelles avait adhéré Tarrou).
Par contre, toutes les situations causées par la peste lui permettent de s'engager sans action violente, de s'approcher de son idéal, sa perfection.
Cependant, comme il est impossible d'éradiquer le mal de façon permanente, la sainteté ou la perfection semblent impossibles à atteindre pour Tarrou. Il faut alors se satisfaire selon lui d'un «satanisme modéré» (à ne pas confondre avec l'idée que nous nous faisons des satanistes aujourd'hui!). Satan/Lucifer est l'ange qui s'est révolté contre la création divine. Et l'esprit de révolte est bien ce qui guide Tarrou ou Rieux (surtout à la mort du fils Othon).
Comme il est impossible d'imposer le bien de manière durable, il faut se révolter en évitant au moins tout ce qui cause ou entraîne le mal. C'est dans cette optique que Tarrou considère le vieil Espagnol comme saint, car en transversant continuellement de petits pois d'un récipient à l'autre, il reflète le travail de Sisyphe. Il faut noter que ce vieil Espagnol survit à la peste, contrairement à Tarrou qui est infecté alors que la peste est en train de régresser.
Comment expliquer que Camus ait choisi de «tuer» cet homme à la recherche d'une «sainteté sans Dieu», ce révolté? Et pourquoi à la fin, lorsque la maladie est vaincue?
Bien que les visions de Tarrou soient tout à fait louable, il n'a réussi qu'une seule fois à véritablement les mettre en pratique: lors de la peste. Maintenant que la peste est vaincue, le combat de Tarrou est achevé. Il a eu droit à la deuxième alternative qui lui semblait acceptable. Je n'ai pas envie de mourir et je lutterai. Mais si la partie est perdue, je veux faire une bonne fin.