(Le texte suivant a été copié du Profil d'une oeuvre ; Zadig pp.48-49)
Le refuge de la science
Après sa déconvenue amoureuse, Zadig tente de trouver « son bonheur dans l'étude de la nature ». (Chapitre III) Il veut devenir savant et « philosophe ». Grâce à l'étude des sciences, Zadig cherche à se replier sur lui-même, à se mettre à l'abri des agressions du monde extérieur. Il s'installe pour cela « dans une maison de campagne sur les bords de l'Euphrate », qui devient le symbole du jardin intérieur dans lequel il se retire. A l'image de Voltaire lui-même lorsqu'il séjournait à Cirey, Zadig devient un savant parfait dans l'esprit de la philosophie des Lumières. Sa méthode, fondée sur l'empirisme, fait de l'observation scrupuleuse des phénomènes de la nature, la condition de progrès en matière scientifique. Cette méthode très rigoureuse apparaît nettement quand il se défend devant les juges d'avoir dérobé « le chien de la reine » et « le cheval du roi ». (Chapitre III)
Les dangers de la science
Ce « profond et subtil discernement » n'empêche cependant pas Zadig à connaître les pires ennuis. Loin d'être un refuge contre les tracas du monde et de lui apporter la tranquilité, le goût de l'étude le met dans des situations périlleuses. Accusé d'abord d'avoir volé le cheval du roi et la chienne de la reine pour en avoir parlé avec tant de précision, on lui reproche bientôt de ne pas avoir collaboré avec des hommes partis à la recherche d'un « prisonnier d'Etat ». Zadig apprend ainsi qu'il peut être dangereux d'être savant, d'examiner, de réfléchir, c'est-à-dire d'exprimer son esprit critique.
Le symbolisme du borgne
Zadig est en fait accusé par ses juges et par les détenteurs de l'autorité d'avoir voulu trop voir. Les lumières de la science et de la raison trouvent sur leur chemin ceux qui ont intérêt à ce que le plus grand nombre demeure dans l'ignorance et dans l'obscurantisme. Or Zadig est décrit comme un être de lumière et d'élucidation. Il aime Astarté, symbole de clarté. Au cours du tournoi, il porte une armure de couleur blanche. (Chapitre XVII). Né pour « démêler la vérite, que tous les hommes cherchent à obscurcir » (Chapitre VI), il éclaircit ce qui est confus ou délibérément embrouillé (Chapitres VI et X), combat la superstition (Chapitre XI) et dissipe les énigmes (Chapitres XIX). Or Zadig, qui fait reposer une partie de son bonheur sur l'excellence de sa vue et la lucidité de son esprit, manque de perdre un oeil, dans le premier chapitre intitulé de manière très révélatrice « Le borgne ».
Le risque de devenir borgne symbolise très fortement les forces de l'obscurantisme, ennemis de clarté et de la vérité. Il exprime la menace qui va peser pendant tout le conte sur Zadig. Faut-il ou non manger du griffon, animal qui n'existe pas? A cette question, le héros répond avec un bon sens désarmant:
S'il y a des griffons, n'en mangeons point ; s'il n'y en a point, nous en mangerons encore moins [...] (Chapitre IV)
Mais le discours de l'évidence, c'est-à-dire de l'esprit qui « voit » la vérité, est constamment en butte aux manoeuvres d'individus sots et fanatiques. C'est ainsi que l'archimage Yébor, à cause des griffons, veut faire « empaler Zadig ».
La science ne conduit donc pas au bonheur. Découragé par la mésaventure des griffons, le jeune homme s'écrie:
A quoi tient le bonheur! tout me persécute dans ce monde, jusqu'aux êtres qui n'existent pas. (Chapitre IV)