L'épuisement des équipes

Même si la peste n'évolue plus en intensité, elle garde la ville repliée sous elle si bien que Rieux et ses amis sont épuisés et cèdent au progrès d'une curieuse indifférence. Par là, ils ressemblent « aux combattants des grandes guerres, épuisés de travaux, appliqués seulement à ne pas défaillir dans leur devoir quotidien et n'espérant plus ni l'opération décisive, ni le jour de l'armistice. » (p.194)

Rieux se surprend un jour à parler de sa propre femme sur le temps le plus banal et il confie à Grand ce qu'il n'a encore dit à personne, à savoir que l'état de santé de son épouse s'est aggravé, et il ne s'explique pas, sinon par la fatigue, comment il avait pu confier la nouvelle à Grand. Ainsi on pourra dire que sa sensibilité lui échappe. La fatique arrange les choses dans une certaine mesure: « Si Rieux avait été plus frais, cette odeur de mort partout répandue eût pu le rendre sentimental. Mais quand on n'a dormi que quatre heures, on n'est pas sentimental. » (p.196)

D'un autre côté, cette fatigue est dangereuse: « l'épuisement qui gagnait, peu à peu, tous ceux qui continuaient cette lutte contre le fléau n'était pas dans cette indifférence aux événements extérieurs et aux émotions des autres, mais dans la négligence où ils se laissaient aller. [...] C'est ainsi que ces hommes en vinrent à négliger de plus en plus souvent les règles d'hygiène. » (p.197)

Cottard reste le seul qui n'est ni épuisé, ni découragé, et qui reste l'image vivante de la satisfaction. « Bien entendu il est menacé avec les autres, mais justement, il l'est avec les autres. » (p.198) Cottard ne fait pas partie des séparés, mais a peur d'être séparé des autres. « Il préfère être assiégé avec tous que prisonnier tout seul. » (p.199) Les autres sont enfin menacés comme il l'était avant eux et connaissent enfin les mêmes réactios. En somme, la peste lui réussit. Mais Tarrou estime qu'il entre peu de méchanceté dans l'attitude de Cottard: « puisque lui-même a vécu dans la terreur, il trouve normal que les autres la connaissent à leur tour. Plus exactement, la terreur lui paraît alors moins lourde à porter que s'il y était tout seul. » (p.202)


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