Question de développement

En quoi la description de la ville d'Oran dans le chapitre d'exposition illustre-t-elle l'homme avant la prise de conscience de l'absurde ?


Le sentiment de l'absurde est un malaise existentiel qui trouve son origine dans la prise de conscience de l'irrationalité du monde et de la destinée humaine. D'après Albert Camus, l'homme vit pour rien dans un monde sans signification et, à un moment donné, la question du pourquoi de l'existence jaillit et l'angoisse saisit l'homme. Selon lui, la seule attitude possible pour l'homme constitue la révolte contre l'absurde car seulement celle-ci lui permet de trouver la lucidité nécessaire à la liberté de s'ouvrir à autrui et de lutter contre tout ce qui contredit l'unité du monde et ainsi d'être tiré de sa solitude.
Ce cheminement de la prise de conscience de l'absurde est développé dans La Peste où une ville entière est peu à peu tirée de son train-train quotidien à cause d'une épidémie de peste. Les premières pages de La Peste nous dépeignent la ville d'Oran ainsi que le mode de vie de ses habitants. Cette description nous illustre une ville rythmée par la monotonie et par les automatismes.
Dans un premier temps, nous allons analyser comment Camus a transformé Oran en une ville banale, une ville-symbole pour ensuite nous consacrer, dans un deuxième temps, à l'étude du mode de vie des Oranais afin de démontrer qu'Oran correspond bel et bien à une ville dans un état de torpeur où les hommes n'ont pas encore pris conscience de l'absurde.

Tout d'abord, Oran semble être une ville tout à fait banale, loin des clichés exotiques correspondant à une ville nord-africaine. Le narrateur va même plus loin, en précisant que la ville est laide et en utilisant à plusieurs reprises la préposition « sans » ainsi que des adverbes de négation qui sont censés nous donner une image négative de cette ville. Cette description nous révèle qu'Oran n'est qu'une ville symbole, c'est-à-dire que les événements qui se déroulent à Oran pourraient très bien avoir lieu dans une autre ville moderne occidentale.

Ensuite, le mode de vie des Oranais reflète la banalité des lieux. Des tâches bien précises structurent la vie des Oranais et transforment leur vie en une succession d'automatismes.
Pour commencer, le travail semble être la tâche la plus importante. Le travail a deux objectifs: d'une part, il permet de gagner de l'argent, une des préoccupations les plus importantes des Oranais, et, d'autre part, il permet de dissiper l'ennui pendant la semaine.
En effet, l'ennui s'avère être un ennemi à combattre absolument grâce aux loisirs censés distraire les Oranais (« on s'y ennuie et on s'applique à prendre des habitudes »). Mais, ces passe-temps se déroulent à des horaires fixes (le samedi et le dimanche) et au sein de structures sociales (associations, cercles ou banquets). Donc, ils correspondent plutôt à des habitudes ou à des rites donnant un sentiment de sécurité aux Oranais car « on passe ses journées sans dificultés aussitôt qu'on a des habitudes ».
De plus, l'amour correspond à cette mentalité des habitudes et des joies éphémères. Les relations amoureuses des Oranais équivalent soit à des actes d'amour soit à de longues habitudes à deux. D'après le narrateur, les Oranais « faute de temps et de réflexion » s'aiment « sans le savoir ». En effet, les Oranais vivent dans un état de torpeur permanent et agréable qui résulte du fait qu'ils ne semblent avoir aucun « soupçon » ni de la mort, ni de la vie car, d'un côté, les malades constituent une gêne et la mort un contretemps dans l'emploi du temps rigide des habitants, et d'un autre côté, leur vie est constituée d'une multitude de tâches quotidiennes structurées à horaires fixes. Cette conscience ensommeillée est un obstacle à la passion et au temps nécessaire à l'amour.

Pour conclure, nous pouvons dire que la ville d'Oran, représentative des villes modernes occidentales, illustre le caractère général et universel du message de l'oeuvre: dans chaque ville régie par l'argent, les habitants sont enlisés dans leur habitudes et leur quotidien, c'est-à-dire le vide de la pensée. Ils ne veulent pas prendre le temps de réfléchir à la vie ou à la mort car ils savent inconsciemment que cela les ferait basculer et chamboulerait toute leur vie. Ces hommes ainsi que les Oranais se cloîtrent volontairement dans un emprisonnement existentiel censé les protéger de la prise de conscience de l'absurde. Donc, le premier chapitre de La Peste illustre parfaitement l'homme inconscient de l'absurdité du quotidien, l'homme étranger au soupçon et au sentiment du tragique de sa condition.

(cf. voir Oran et les Oranais)


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