« Deux et deux font quatre » (p.139)
Contexte: réaction de Rieux après l'annonce de Tarrou d'organsier les formations sanitaires volontaires (FSV). Cette citation revèle l'attitude de Rieux par rapport aux FSV et a fortiori sa position par rapport à la peste (3 niveaux!).
« Puisque la maladie était là, il fallait faire ce qu'il fallait pour lutter contre elle. » (p.139) Cette citation fait echo à la citation: « Là était la certitude, dans le travail de tous les jours. (...) L'essentiel était de bien faire son métier. » (p.49)
Selon Rieux, il ne faut pas « donner trop d'importance aux belles actions, on rend finalement un hommage indirect et puissant au mal. Car on laissse supposer alors que ces belles actions n'ont tant de prix parce qu'elles sont rares et que la méchanceté et l'indifférence sont des moteurs bien plus fréquents dans les actions des hommes. C'est là une idée que le narrateur ne partage pas. Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l'ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n'est pas éclairée. Les hommes sont plutôt bons que mauvais, et en vérité, ce n'est pas la question. Mais ils ignorent plus ou moins, et c'est ce qu'on appelle vertu ou vice, le vice le plus désespérant étant celui de l'ignorance qui croit tout savoir et qui s'autorise alors à tuer. » (p.138)
Selon Rieux, les FSV sont donc bien sûr « une initiative louable », mais il souligne que « [c]eux qui se dévouèrent aux formations sanitaires n'eurent pas si grand mérite à le faire, en effet, car ils savaient que c'était la seule chose à faire ». (p.139) Il précise que ce qu'ils ont en commun avec l'instituteur, c'est leur « bonne volonté ». L'instituteur enseigne que deux et deux font quatre, une vérité objective, comme c'est une vérité objective que la peste est à Oran et que c'est une épidémie qui se propage rapidement et tue; la seule réponse possible est donc la lutte contre cette peste.
Ici nous retrouvons l'allusion à Sisyphe, condamné à rouler éternellement son rocher. Les hommes, face à l'absurdité de la vie, sont condamnés à faire toujours les mêmes efforts. Or, Rieux et ses hommes se révoltent et refusent de « se mettre à genoux », de baisser les bras, de se rendre: « Tarrou, et Rieux, et leurs amis pouvaient répondre ceci ou cela, mais la conclusion était toujours ce qu'ils savaient: il fallait lutter de telle ou de telle façon et ne pas se mettre à genoux. Toute la question était d'empêcher le plus d'hommes possibles de mourir et de connaître la séparation définitive. Il n'y avait pour cela qu'un seul moyen qui était de combattre la peste. Cette vérité n'était pas admirable, elle n'était que conséquente. » (p.140)
Et cette révolte par laquelle l'homme affirme sa dignité s'ancre dans la fraternité, la solidarité et l'amitié.
Retenons que Rieux est le défenseur d'un certain humanisme (<-> héroïsme) et que la révolte selon lui est un refus réfléchi d'accepter passivement le sort qui est réservé à l'Homme. C'est pourquoi pour lui, s'il faut désigner un héros, il « propose justement ce héros insignifiant et effacé qui n'avait pour lui qu'un peu de bonté au coeur et un idéal apparemment ridicule. Cela donnera à la vérité ce qui lui revient, à l'addition de deux et deux sont total de quatre, et à l'héroïsme la place secondaire qui doit être la sienne, juste après, et jamais avant, l'exigence généreuse du bonheur. »
(cf. voir Pour Bernard Rieux, « l'essentiel est de bien faire son métier ».)