Situation
- Zadig, en route pour Babylone, à quelques kilomètres du château d'Arbogad, « toujours déplorant sa destinée et se regardant comme le modèle du malheur », rencontre un pêcheur qui se voit aussi « le plus malheureux de tous les hommes » et veut se suicider (ll.1-7 ; ll.29-fin)
Personnages
- Le pêcheur est le deuxième miroir (parodique) de Zadig: la destinée du pêcheur est similaire à celle de Zadig. Il est le plus malheureux des hommes (mise en abyme de la destinée de Zadig):
- Le marchand le plus célèbre // le ministre le plus célèbre
- Orcan a enlevé la femme du pêcheur // Orcan a enlevé Sémire
- Épouse qui est considérée comme un beau parti
- Trahison, infidélité de la femme
- Maison pillée et détruite // maison pillée légalement par les archers du roi
- Victimes de la justice vénale
- Perte de tous les biens
Comme Zadig, le pêcheur semble posséder initialement tous les atouts pour être heureux. Le pêcheur a une âme simple, c'est-à-dire pas les mêmes ressources philosophiques et morales que Zadig. Il est une copie légèrement ridicule de Zadig ; même les animaux semblent s'acharner contre lui. Le mal naît de purs hasards, de coïncidences futiles (le fromage n'est pas encore payé, la rencontre d'Orcan // chien et cheval, rubans jaunes).
La Providence paraît une fois de plus comme une force hostile qui châtie les bons et les vertueux et récompense les méchants et les injustes (ici Orcan). L'Homme semble ne pas avoir d'emprise sur son destin: toutes les tentatives du pêcheur pour changer son sort aggravent sa situation. Ici la question de la liberté humaine face à une destinée implacable, illogique et injuste est posée.
Apprentissage de Zadig
- Prise de conscience de Zadig: « Il y a donc des hommes aussi malheureux que moi »
- Il s'en sent consolé, puisqu'il a trouvé son semblable et « deux malheureux sont comme deux arbrisseaux faibles qui, s'appuyant l'un sur l'autre, se fortifient contre l'orage »
- Le récit du Pêcheur montre qu'il a fait des expériences semblables à celles de Zadig (femme, justice, ...)
- Zadig réalise qu'il n'est pas le seul à souffrir des injustices et des malheurs ; ainsi sa douleur se relativise. Il fait l'expérience de la solidarité dans la souffrance humaine
- Zadig apprend que les malheurs du Pêcheur sont dus à lui. Le sort du Pêcheur est lié à celui de Zadig.
- Zadig ne révèle pas son identité, mais parle de soi comme d'un « honnête homme » et lui redonne espoir en disant que « s'il retourne à Babylone, comme il l'espère, il vous donnera plus qu'il ne vous doit »
- Zadig lui donne aussi la moitié de l'argent qu'il possède et le Pêcheur ne le voit plus seulement comme un « auguste consolateur », mais aussi comme un « ange sauveur »
- Zadig est solidaire et compréhensif et montre l'exemple de la fraternité dans le malheur. Alors que le pêcheur était résigné et voulait se suicider, Zadig agit. A-t-il tiré une leçon de sa rencontre avec Arbogad?
- Zadig joue auprès du pêcheur le rôle de la Providence: il est à l'origine de l'infortune du marchand de fromages, il le rencontre, il le sort du désespoir, l'envoie à Babylone et lui ouvre ainsi une nouvelle perspective
- Le Pêcheur lui-même le désigne comme « ange sauveur » car il change sa destinée. Soit il est un instrument de la Providence, soit il est capable de changer le destin de l'Homme en agissant et en défendant le bien.
- Le Pêcheur est réconcilié avec son sort: idée de la relativité du malheur
- Cependant, le sauveur (Zadig) n'est pas sauvé: idée de l'injustice du destin
Critiques
- De la justice qui n'est faite que pour les riches
- Critique sociale: les riches sont plus puissants et se moquent des humbles, les exploitent et les soumettent
- Orcan qui enlève la femme du pêcheur
- Les acheteurs potentiels de la maison du pêcheur qui tirent profit du fait que le marchand est pressé de vendre
- Le prince d'Hyrcanie qui ravage tout sur son passage
La question de la Providence dans les chapitres XIV et XV
- Les épisodes de rencontres se multiplient pour confirmer la dimension symbolique et morale du conte
- Il y a une véritable galerie de personnages stéréotypés et schématiques qui servent à exemplifier la thèse sur le rôle de la Providence: la réflexion sur le problème du Mal est prolongée et accentuée: Qui est responsable des malheurs humains?
- Providentialisme (c'est Dieu qui décide des événements) ?
- Hasard (cause fortuite) ?
- Le conte de Voltaire hésite entre providentialisme et hasard
- L'existence du Mal: les malheurs que nous croyons tels ne sont injustifiables et incompréhensibles qu'aux yeux de l'Homme, mais ils participent du parfait projet divin
- Voltaire rejette le providentialisme de Leibniz car ce dernier nie l'existence de la liberté humaine. Pour Voltaire, l'Homme subit l'influence de la Providence sans pour autant être privé totalement de liberté
- Pour Voltaire, l'Homme ne peut pas saisir le mystère de l'existence. Il refuse l'idée que Dieu a créé « le meilleur des mondes possibles », que tout n'est pas bien, mais que le Tout est parfait, harmonieux. Pour lui, cette idée de Leibniz qui concilie l'existence du mal et de la justice divine n'est pas tenable: elle présente la création comme une sorte d'équilibre d'où la liberté humaine est absente.
(cf. voir Zadig et la question de la Providence)